Le jeu de la claustration.

Jamais compris les déçus de Silent Hill 4. Trop répétitif disaient-ils. Un héros pas attachant. Un cadre trop différent des trois premiers jeux. Une difficulté augmentée. Et surtout, ces niveaux qu’il fallait parfois répéter deux fois pour les besoins de l’intrigue. Avec son ambiance urbaine déliquescente, l’étrangeté de son concept (un héros enfermé chez lui et incapable d’en sortir), des phases de vue subjectives bien flippantes et une intrigue digne des meilleurs films d’horreur, Silent Hill 4 : The Room avait pourtant tout pour plaire aux amateurs de flippe vidéoludique.

Vous êtes Henry Townshend, jeune homme lambda qui vient tout juste de s’installer dans un appart en ville. À votre réveil, quelle n’est pas votre surprise lorsque vous constatez que la porte d’entrée de votre appart a été condamnée durant la nuit, barrée de dizaines de lourdes chaines et de cadenas qui vous empêchent de sortir. Qui a bien pu installer toutes ces chaines… de l’intérieur ? Êtes-vous vraiment seul dans cet appartement ? Qui a bouché les toilettes ? Et bon sang, qui est assez fou pour écouter du Jul au-dessus, toute la journée ?

Au fur et à mesure de l’exploration de votre charmant deux pièces, vous découvrez des choses de plus en plus étranges. Les murs se mettent à grouiller d’apparitions, personne ne semble vous entendre appeler à l’aide, le téléphone sonne parfois pour vous laisser entendre une voix inaudible se détachant sur un son parasite plutôt flippant et il y a ce message écrit sur la porte d’entrée : “Don’t go out !! Walter” Dans la salle de bains, vous découvrez un énorme trou dans un mur qui vous apparait, non seulement comme un dégât des eaux à signaler à l’assurance, mais aussi comme la seule sortie possible. Mais à l’autre bout du tunnel se trouve un monde différent. Une sorte d’univers parallèle peuplé de créatures informes, inquiétantes et agressives, et parsemé d’indices menant tout droit à l’ancien orphelinat d’un patelin sinistre, Silent Hill. Les signes s’accumulent. Un certain Walter Sullivan, célèbre tueur en série, a de toute évidence été un des précédents locataires de votre appart. Et il semble n’être pas vraiment mort en prison, contrairement à ce que les journaux avaient annoncé.
Qui est cette voisine avec sa peluche flippante ? Et ce jeune homme au visage innocent qui se poste parfois devant votre porte, vous souriant sans mot dire alors que vous l’espionnez par le cache ? Et, putain, c’est quoi ce sang qui dégouline un peu partout sur les murs ?

Piochant quelques-unes de ses plus belles idées autant dans la mythologie des trois premiers jeux (l’outre-monde, l’orphelinat tenu par l’Ordre, la symbolique matriciel) que dans quelques films et séries cultes du genre (le gamin évoquant celui de Simetierre, le métro lorgnant sur l’intro de L’Echelle de Jacob, le trou dans le mur renvoyant à Dans la peau de John Malkovich, le tueur en série à la Seven, l’orphelin conditionné pour devenir un monstre comme dans Monster), Silent Hill 4 : The Room n’a finalement rien à envier aux opus qui l’ont précédé. Sa dimension urbaine, délétère et labyrinthique, son atmosphère plus oppressante, ses superbes visions d’horreur, en renforcent l’immersion du joueur, notamment via ces phases de jeu à la première personne qui voient à chaque fois l’appartement dans lequel on est prisonnier se désagréger, jusqu’à devenir une antichambre de l’enfer. Le bestiaire est varié, les personnages intrigants à souhait et le scénario passionnant à suivre, notamment au travers de la vie de Walter Sullivan, personnage mystérieux qui avait déjà été évoqué au détour d’une phrase dans Silent Hill 2 et qui s’impose ici comme un adversaire, non seulement invulnérable, mais doté aussi du don d’ubiquité. Le dénouement raccroche bien les wagons avec la mythologie des trois premiers jeux jusqu’à aboutir aux fameuses trois fins possibles, parmi lesquelles celle du Walter enfant reste particulièrement marquante.

Doté de très beaux graphismes pour son époque et boosté par un moteur 3D (le même que celui de Metal Gear Solid 3) pas complètement adapté à ce système de jeu, Silent Hill 4 : The Room fut à son époque mal-aimé par les fans lesquels, les feignasses, ont surtout détesté se coltiner plusieurs répétitions de niveaux. Le dernier jeu conçu par la mythique Team Silent n’en reste pas moins un sommet d’angoisse vidéoludique, dans la parfaite lignée de ses prédécesseurs, et bien supérieur aux opus Silent Hill qui suivront et que Konami déléguera à des studios européens bien moins inspirés (le déplorable Downpour).
Silent Hill 4 : The Room est tellement mésestimé qu’il n’a même jamais eu droit à son remake, à l’inverse des classiques Silent Hill 2 (remaké à nouveau sur PS5) et Silent Hill 3, réunis dans la compilation Silent Hill Collection HD. Une injustice qu’il serait bon de réparer un jour, histoire de pouvoir se replonger, en HD, dans cette sombre histoire de claustration, de tueur orphelin et de culte monstrueux.

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