Sous ses airs d’énième film de traque au tueur en série, Une affaire de détails (The Little Things) réussit à plonger son spectateur dans les circonvolutions d’une enquête atypique, moins tournée vers la nécessité d’une résolution à l’intrigue criminelle que sur les failles de ses propres protagonistes. Dans ce film de John Lee Hancock (The Highwaymen), il s’agit en effet moins de suivre la piste d’un meurtrier que de s’attacher à comprendre les raisons de la mise au ban du shérif adjoint Joe “Deke” Deacon incarné par Denzel Washington. Approché par un jeune capitaine de la criminelle (Rami Malek) qui compte sur son experience pour coincer un tueur sadique de jeunes femmes, le personnage de Deke est décrit comme un ancien détective usé et dévoyé, mésestimé et détesté par ses pairs pour une raison que le script tient longtemps sous silence. En s’attachant à sa trajectoire plus qu’à celle du jeune capitaine Baxter, le réalisateur privilégie une atmosphère urbaine à la lisière du fantastique puisque ponctuée par les apparitions de jeunes femmes dont on devine qu’elles ne sont que les fantômes hantant le détective.

Cette portraiture de flic abimé n’a en soit rien d’original et le duo formé avec l’autre enquêteur n’apporte que peu de choses pour nourrir véritablement l’intrigue. C’est grâce à l’entrée en scène de son antagoniste que l’intrigue prend véritablement son essor. Potentiel suspect et coupable tout désigné, le personnage d’Albert Sparma incarné par Jared Leto prend un malin plaisir à se jouer des deux enquêteurs, jusqu’à pousser le vice à la limite d’un jeu de dupes meurtrier. À deux doigts de sa résolution, l’intrigue prend en effet un tour inattendu et se concentre moins sur la certitude de l’identité du tueur que sur la psychologie obsessionnelle de deux flics clairement rongés par le doute et la culpabilité, enterrant leur bavure au beau milieu d’un terrain vague perdu dans le désert. Il s’agira ici moins de résoudre le mystère et l’enjeu à la base de tout thriller criminel (Qui est le tueur ? Sera-t-il mis hors d’état de nuire ?) qu’à évoquer l’idée que le meurtre découle parfois d’un long chemin tortueux, parfois pavé des meilleures intentions. Le problème étant que le film d’Hancock, tout aussi classieux et surprenant soit-il, se permet parfois de prendre des chemins de traverse un peu trop évidents. Ainsi du caractère quasi omniscient de Sparma (le personnage semble toujours voir venir les deux flics, voir les scènes de l’autoroute et de l’effraction de l’appart) ou ce final peu crédible au cours duquel un des deux enquêteurs accepte de jouer trop facilement le jeu de celui qu’il lui tarde de coincer.

Habitué aux rôles de personnages abîmés et de fins limiers, Denzel Washington nous livre une bonne prestation face à un Rami Malek toujours talentueux mais dont le rôle manque cruellement d’épaisseur. Face à eux, Jared Leto s’amuse comme un fou en incarnant un sociopathe aussi implacable que flegmatique et manipulateur, et dont le discours et l’allure clignent ouvertement de l’œil à Charles Manson (ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le personnage de Leto possède chez lui un livre dont le titre Helter Skelter, titre d’une chanson des Beatles, fait ouvertement référence au chaos et à la guerre raciale annoncée par le gourou à ses disciples).
Grand habitué des rôles de transformation (ici lentilles noires, cheveux longs et bide à bière), Jared Leto nous épargne son cabotinage habituel et compose un antagoniste atypique et mémorable, dont la trajectoire, couplée à celle du jeune détective, emprunte pour beaucoup à la dualité concluant le Seven de Fincher. À ceci près que ce dernier film se terminait sur une résolution certaine et définitive, très loin de l’incertitude qui conclut ce petit polar tortueux où le diable se trouve bien dans les détails.

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