Bond supremacy

Gros succès de l’année 2006, Casino Royale aura su redéfinir le personnage de James Bond et imposer Daniel Craig dans le rôle. Rassurés par les recettes du film de Campbell, les producteurs n’attendent pas pour lancer la préproduction d’une suite et poser une deadline à novembre 2008 alors même que le scénario n’est pas écrit. Neal Purvis, Robert Wade et Paul Haggis proposent un premier traitement avant que n’éclate une grève des scénaristes à laquelle se doivent de prendre part le trio (ils seront pourtant crédités comme scénaristes officiels de ce 22ème opus). Entretemps, Barbara Broccoli et Michael G. Wilson ont proposé la réalisation à plusieurs cinéastes, Martin Campbell et Paul Haggis déclineront l’offre, inquiets du délai trop court de production. C’est sur les conseils de Daniel Craig (qui admire ses précédents films) que les producteurs approchent Mark Forster. Pourtant ce dernier n’a pas vraiment d’expérience dans le cinéma d’action et se dit très étonné. Il accepte la proposition sachant que le tournage et la production ne seront pas de tout repos. Lui et Daniel Craig s’attèlent à l’écriture du script, bientôt rejoints par le scénariste qui peaufine le traitement. L’idée est de proposer une suite directe à Casino Royale, lançant Bond sur les traces de l’organisation Quantum. L’intrigue fera écho à l’actualité de l’époque, notamment à cette guerre de la privatisation de l’eau qui éclata en Bolivie (et dont on a encore récemment été témoin avec l’affaire des bassins privatisés de Sainte-Soline). Une manière de moderniser les enjeux du film tout en préfigurant le danger de l’épuisement des ressources qui guette l’humanité.

Ravagé par la mort de Vesper et motivé par la vengeance, James Bond poursuit sa trajectoire entamé dans Casino Royale. Les environnements arides et désertiques qu’il traverse dans ce second opus ne font que répondre (un peu comme Mad Max avant lui) au vide émotionnel qui habite désormais le personnage. Tout comme cette jeune femme incarnée par Olga Kurylenko, trahie par la personne qu’elle aimait et désireuse de se venger de son ancien bourreau. La quête de chacun ne fera que répondre à l’autre, les liant dans cette même aventure sans aboutir, et c’est une première, à une idylle entre Bond et la jeune femme.

Acteur français talentueux (La Question humaine), remarqué à l’international pour son rôle dans Munich (où il donnait la réplique à un autre méchant de Bond, Michael Lonsdale, tout en croisant de loin Daniel Craig), Mathieu Amalric incarne ici un méchant “normal”, sans signe physique distinctif, sans base secrète cachée de tous, sans projet fantaisiste en tête. Loin d’être aussi charismatique que son prédécesseur mais se révélant tout aussi fourbe et odieux, l’industriel Dominic Greene incarne à lui-seul l’hypocrisie de ces PDG de grands groupes se disant sensibles à l’écologie et qui ne font pourtant qu’épuiser toujours plus les ressources et la biosphère de la planète. Le sort réservé à la jeune femme interprétée par Gemma Arterton, outre le clin d’œil évident à la sacrifiée dorée de Goldfinger, symbolise à lui-seul l’évolution des enjeux. L’or n’est plus aussi prisé que le pétrole et la soif de pouvoir de Greene, ne tolérant aucune trahison, préfigure les futures guerres de contrôle des ressources naturelles, dont l’eau, ici clairement désigné (à raison) comme le futur grand enjeu de l’humanité.

Côté action, le film bénéficie de quelques belles scènes (confiées à Peter Wenham, responsable de la direction artistique sur La Mort dans la peau) dont cette séquence de poursuite sur les toits de Sienne ou encore cette scène voyant Bond intercepter une réunion des membres de Quantum, dispersés dans le public d’un opéra. Las, le montage parfois haché et bien trop rapide (voir la scène de la fusillade sur l’échafaudage) trahit une post-production menée dans l’urgence pour que le film puisse sortir à la date prévue. Les séquences sont spectaculaires, un poil too much par moment au regard de celles de Casino Royale (la séquence de l’avion). Daniel Craig, lui, donnera de sa personne dans les cascades, bien plus que sur le précédent opus, au point de se blesser plusieurs fois sur le tournage. Proposant des idées au jour le jour pour améliorer l’intrigue, il se promettra d’ailleurs après coup de ne plus jamais s’engager dans une production dont le scénario n’est pas prêt à l’avance.

Sorti fin 2008, Quantum of Solace bénéficie d’un beau succès public tout en accusant la comparaison critique avec Casino Royale. Moins surprenant dans son intrigue et ses personnages (le méchant est jugé falot, la James Bond girl de Kurylenko pâtit de la comparaison avec celle d’Eva Green), et n’apportant pas de grandes réponses sur les dirigeants de l’organisation Quantum, si ce n’est la révélation finale sur l’ancien compagnon de Vesper, le film ne convainc pas tout à fait. En revanche, personne ne remet plus en doute le choix de Craig dans le rôle de Bond. Les critiques que l’acteur avait essuyées avant même la sortie de Casino Royale sont oubliées. Néanmoins, l’enthousiasme des fans retombant quelque peu avec ce 22ème opus, les producteurs savent qu’il n’est plus question de faire les choses à moitié. L’arc narratif consacré à l’organisation Quantum n’est plus jugé comme une priorité. Le prochain James Bond devra à nouveau frapper un grand coup pour consolider l’avenir de la saga. Et c’est dans ce contexte que Sam Mendes réalisera le superbe Skyfall. Mais ça, c’est une histoire que j’ai déjà abordé il y a longtemps.

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