James Bond Begins
2002. Meurs un autre jour, le vingtième film de la franchise James Bond, fête les quarante ans de la saga en alignant les fautes de goûts, les effets de style ridicules, les CGI kitschs et les voitures invisibles. Lui-même effaré par l’indigence du truc, Pierce Brosnan se fait dégager. Car en coulisses, les Broccoli fille et fils ont enfin mis la main sur leur Saint Graal. Après des années à batailler pour en récupérer les droits, Barbara Broccoli et Michael G. Wilson deviennent enfin propriétaires des droits d’adaptation de Casino Royale, roman fondateur du personnage de Bond, écrit par Ian Fleming en 1953 et vendu par ce dernier dans la foulée à la Columbia.
Brosnan symbolisant la décennie précédente, le personnage de Bond doit être entièrement repensé, rajeuni, recasté. La décision de Barbara Broccoli de confier le rôle à Daniel Craig, acteur connu pour ses rôles dans Tomb Raider, Les Sentiers de la perdition, Layer Cake et Munich, déchaine les passions et les foudres de la presse et des fans. Trop blond, pas assez grand, pas assez beau, et même, trop poutinesque, l’acteur n’en finit pas d’encaisser les critiques alors même qu’il s’implique déjà à fond dans la redéfinition du rôle. Soutenu par les producteurs, défendu par tous ses prédécesseurs et même conseillé par celui qui était à même de lui en vouloir, Pierce Brosnan (“Envoie-les chier, lui dira Brosnan. Maintenant c’est toi James Bond alors fais-le !), Craig fait taire en masse toutes les critiques le jour de la sortie de Casino Royale à l’été 2006. Et devient instantanément le Bond nouveau, celui de toute une génération.
Piochant dans les personnalités des Bond incarnés par Connery, Dalton et Brosnan, Craig réinvente le rôle et impose sa vision dès la séquence d’ouverture. Une course-poursuite musclée et dévastatrice sur un chantier, filmée de manière percutante par le réalisateur Martin Campbell qui, dix ans auparavant, filmait déjà la résurrection de James Bond. Indisponible durant les années 90, le réalisateur du Masque de Zorro s’imposa vite aux yeux des producteurs comme l’homme de la situation, celui qui avait déjà su relancer la franchise. Pourtant, de son propre aveu, Campbell eut lui aussi du mal à visualiser Craig dans le rôle de Bond. C’est en travaillant notamment avec l’acteur sur la façon de redéfinir le personnage que le cinéaste révisera son jugement.
Confié à nouveau au duo de scénaristes Neal Purvis-Robert Wade, avec l’apport de Paul Haggis (Million Dollar Baby, Collision), le scénario s’écarte résolument de la frivolité du précédent opus. Face à la concurrence féroce de nouveaux héros plus sombres, ambigus et réalistes (Jason Bourne, le Batman de Nolan, Ethan Hunt et surtout Jack Bauer), James Bond se doit de redevenir le tueur élégant qu’il était à l’origine pour mieux s’adapter aux enjeux de son époque et aux attentes d’un nouveau public. S’inspirant du reboot Batman Begins, Casino Royale reprend donc tout à zéro. Le James Bond de Craig gagne tout juste ses galons d’agent 00 et son permis de tuer. C’est un assassin tout entier dévoué à sa patrie, et M, sa patronne du MI6, Olivia Mansfield, si elle est toujours incarnée par Judy Dench, n’est pourtant pas le même personnage que celui qui dirigeait le Bond de Brosnan (Barbara Mawdsley).
Evacués aussi les gadgets fantaisistes, les punchlines inutiles et les femmes à sauver. La James Bond girl du film, Vesper Lynd, magnifiquement incarnée par Eva Green, est l’autre grande révélation du film. Comme Diana Rigg avant elle, elle est celle qui réussit à faire tomber Bond amoureux. Comme Sophie Marceau avant elle, elle est celle qui peut aussi l’abuser. James Bond en sort trahi, blessé, vulnérabilisé, et le trépas de la jeune femme dans le dernier acte conditionnera toute la psychologie de ce nouveau Bond.
Même le méchant du film, interprété par Mads Mikkelsen, aussi inquiétant que charismatique, épousera une trajectoire éloignée de ses prédécesseurs. Pas de monde à conquérir ou à détruire ici, pas de base secrète engloutie ou enfouie sous terre, juste une dette à recouvrir par la seule force de son intelligence face à un Bond déterminé à le faire tomber au détour d’une simple partie de poker. Leur antagonisme suivra d’ailleurs une trajectoire atypique, piégé par le Chiffre, Bond subira une séance de torture digne de la série 24 (une scène quasi-similaire dans la saison 2) avant d’être sauvé par un authentique deus ex machina en la personne de l’intrigant Mr White. L’antagoniste principal du film s’étant fait étonnamment supprimer avant le dernier acte, ce dernier est alors tout entier dédié à la blessure sentimentale de Bond qui culminera dans un formidable morceau de bravoure et une déchirante scène de sacrifice.
Abusé, manipulé et endeuillé, mais bien déterminé à se venger, 007 se présente enfin comme “Bond, James Bond” et part doublement en croisade contre les instigateurs de l’organisation Quantum et à la reconquête de son trône dans un paysage hollywoodien où la concurrence a, une fois de plus, profité de sa longue absence. Et c’est ainsi que James Bond se présente à tous en guise de conclusion, que Daniel Craig se réapproprie magnifiquement le rôle et que Martin Campbell réalise ce qui reste à ce jour comme le seul Bond, avec Goldfinger et Skyfall, à pouvoir prétendre au titre de chef-d’œuvre. Ian Fleming n’aurait jamais rêvé mieux.