L’emmerdeur

Début des années 90. Tout aussi fascinante que redoutée, New York est une ville peu fréquentable, bourrée de ruelles en coupe-gorges et de truands en tous genres. Les tracts de mises en garde pour les touristes se multiplient, les vols à l’arrachée sont monnaie courante et certains racontent même que des alligators ou même des tortues géantes y squattent les égouts. Les flics, eux, sont sur les nerfs depuis qu’un tueur en série, le “Videur fou”, s’est autoproclamé justicier et, tel un Scorpio, semble déterminé à purger la ville de tous ceux qu’il juge indésirables, dealers, putes et trafiquants. Dans son délire, le psychopathe passe toujours un coup de fil aux autorités pour leur laisser une chance de le localiser avant qu’il ne fasse une autre victime. Bien décidé à le coincer, John Moss (James Woods) est le cliché du flic teigneux des bas-fonds, habitué à faire flipper les crapules et à gueuler à la moindre petite emmerde. A côté de lui, Martin Riggs et John McClane sont des gendarmes du Vaucluse. Alors qu’il voit une nouvelle fois le tueur lui filer entre les pattes, Moss est contraint par son supérieur de chaperonner Nick Lang (Michael J. Fox), une star d’Hollywood. Capricieux et mythomane, Lang souhaite passer quelques jours avec Moss, qu’il juge comme le modèle parfait pour s’imprégner de son prochain rôle, “Ray Casanov”, un flic dur à cuir. Mais Moss voit d’un sale œil ce petit nanti prétentieux débarquer dans sa vie et entraver son enquête. Les acteurs de ciné et leur petit ego, lui, il s’en cogne les roustons à coups de porte fenêtre. D’autant plus qu’il est à deux doigts de coincer ce foutu tueur. Et peut-même plus prêt encore à s’engager dans une vie de couple.

Sorti en 1991, La Manière forte est un pur buddy movie dans la droite lignée des comédies policières des années 80. Après son très bon Comme un oiseau sur la branche, John Badham s’amusait ici à confronter la caricature d’une star vaniteuse, toujours prompte à se la raconter, à un flic badass tout ce qui a de plus vindicatif et teigneux. Un peu comme si Tom Cruise faisait un stage auprès de l’inspecteur Harry. Tout juste sorti des tournages de Retour vers le futur 2 et 3, Michael J. Fox s’amusait ici à décalquer l’image de l’acteur capricieux et imbu de sa personne, tellement habitué au luxe de sa vie de star qu’il se montre complètement déconnecté du monde réel. Une réalité sordide, parfaitement retranscrite dans cette New York à l’atmosphère déliquescente du début des 90’s, entre quartiers miséreux et guerre des gangs, flics sur la corde raide et psychopathe sans pitié. Ayant déjà joué un flic particulièrement pugnace dans le très bon Cop de James B. Harris trois ans auparavant, James Woods rempilait ici dans un rôle de tête brulée dont le caractère irascible et les accès de colère en font l’archétype amusant de l’homme qu’il ne faut pas faire chier. D’autant plus que le personnage s’avère totalement empoté quand il s’agit pour lui de séduire la femme qu’il fréquente et se faire accepter par sa fille (on notera l’apparition de la jeune Christina Ricci, ici dans un de ses premiers rôles). Face à lui, Stephen Lang incarnait un psychopathe terrifiant de folie et d’imprévisibilité. Les trois personnages principaux se répondent ainsi dans leur volonté d’être le meilleur “flic” : Moss veut coincer ce taré, le Videur fou se considère comme un meilleur “flic” que Moss, et Nick Lang veut s’approprier la personnalité de Moss pour incarner un super flic dans son prochain film.

Bien sûr, le policier et l’acteur finiront par trouver un terrain d’entente pour coincer le tueur, lequel ne manquera pas de kidnapper la belle pour un final “à la hauteur” des attentes. Le film aligne les scènes mémorables, souvent amusantes (la parodie “Joe Gunn 2”, le rot dog, le commissaire amadoué par la star, le jeu de rôle dans le bar, Lang jouant les fous du volant), parfois plus sérieuses, John Badham équilibrant parfaitement son film entre polar et comédie. Parmi les meilleures scènes, on retiendra cette originale poursuite d’ouverture à travers les rues new yorkaises, l’intervention de Moss pour désarmer le chef d’un gang dans le métro ainsi que ce final vertigineux voyant Moss et le Videur fou s’affronter sur le visage géant de Nick Lang au-dessus d’une foule amassée sur Madison Square. Les punchlines fusent à la vitesse d’une balle et les répliques cinglantes de James Woods font toujours plaisir à entendre (“J’ai ta fumée dans la gueule, imbécile !“).

Injustement boudé à sa sortie en salles et toujours aussi méconnu de nos jours, La Manière forte reste, un excellent buddy movie, porté par un duo d’acteurs attachant et des dialogues irrésistibles. C’est aussi le dernier bon film de John Badham, réalisateur mésestimé à qui l’on doit pourtant les cultissimes Wargames, Tonnerre de feu et La Fièvre du samedi soir, et dont la carrière de cinéaste, hélas, ne survivra pas aux mutations stylistiques du cinéma d’action des 90’s.

Moss entrant en trombe dans le bureau du capitaine :
Putain, j’en ai marre ! Faîtes ce que vous voulez ! Attachez-moi par la langue à votre pare-brise et baladez-moi à poil des heures entières dans un champ de verre pilé, je ne marche plus !
– Quoi ? On parle de l’acteur ?
– Il est d’une autre planète ! Une planète où il a ses coachs, ses assistants, son impresario et sa nounou qui lui talque les fesses trois fois par jour dès que ses couches sont mouillées !

– (le capitaine, amusé) Ah oui, c’est ça… On parle de l’acteur.
– Il “demande” à être armé…

(le visage du capitaine s’endurcit)
– Dites à ce nain que je veux le voir.”

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