Œuvre-phare des années 2010, L’Attaque des Titans est un anime passionnant sur bien des aspects. Déjà parce qu’il offre bon nombre de pistes de lecture et de thèmes. Adaptée très fidèlement d’un manga à succès de Hajime Isayama paru entre 2009 et 2021, cette série, supervisée par le studio Wit (Seraph of the End) puis reprise par le studio MAPPA (Dorohedoro) pour sa dernière saison, s’inscrit tout d’abord parfaitement dans le contexte de sa décennie. A savoir que les années 2010 auront été traversées par trois grandes séries populaires (Game of Thrones, The Walking Dead et Attack on Titan) qui se ressemblent l’une et l’autre beaucoup dans leur propension à prendre à rebours les attentes du spectateur et à sacrifier bon nombre de leurs protagonistes au moment où on s’y attend le moins. A ce titre, L’Attaque des Titans est un anime particulièrement cruel. Quasiment aucun de ses personnages n’est à l’abri d’une mort sinon atroce au moins particulièrement violente. La peur atavique de “se faire dévorer vivant” apparaît bien sûr de manière évidente de par son sujet, les titans étant particulièrement dérangeants non seulement parce qu’ils dévorent vivants des humains mais aussi parce qu’ils ressemblent eux-mêmes à une caricature d’être humains géants au visage béat et au sourire figé et faussement bienveillant.


Mais c’est là un sujet qui imprègne le fond du récit afin de lui offrir un contexte narratif et un enjeu suffisant pour développer bon nombre de personnages attachants et parfois charismatiques dont on ignore toujours quel sort leur sera réservé. En cela, l’auteur fait très fort dans son premier coup de théâtre avec la mort supposée du héros Eren, dévoré vivant par un titan au terme d’une demi-douzaine d’épisodes seulement. Le procédé rappelle en cela beaucoup celui de la mort d’Eddard Stark dans Game of Thrones, initier le récit en offrant au spectateur un référent évident avant de le sacrifier cruellement au détour d’une scène mémorable, censée propulser tout le reste du récit. Dès lors, l’intrigue se voit boostée par l’entrée en scène de nouveaux personnages tous plus intéressants les uns que les autres, en plus de la révélation entourant la nature d’Eren.


Malin, Isayama reprend à son compte le voyage du héros défini par le théoricien Joseph Campbell en en remaniant habilement les passages obligés : jeune héros qui a soif de découverte (Eren ne supportant pas d’être enfermé entre les murs de la cité), initiation et rencontre d’alliés (la formation militaire), chute dans le ventre du monstre (ici, Eren se fait littéralement dévoré par un titan et finit dans son estomac), importance d’un mentor (Eren ne semble s’écraser que face à Livaï) et de la figure paternelle (où est passé le père d’Eren ?).
Cette figure paternelle ainsi que les thèmes de la transmission, de l’héritage et de la généalogie se trouvent au cœur de la série (Eren et le mystère qui l’entoure lui et son père, Christa et sa rébellion face à son père, Erwin qui cherche à venger son père, l’allusion au paternel d’Annie, le conflit entre Livaï et Kenny qui meurt d’ailleurs avec cette phrase “Je n’ai jamais eu la fibre paternelle“, le père absent de Reiner, le lien unissant Zeke à son mentor et père de substitution Mr Xaver) et semblent parler littéralement de notre époque et de l’histoire récente. Les péchés du (des) père(s) retombent ici souvent sur les jeunes héros, poussant ses derniers à réparer les erreurs de leurs aînés en bousculant l’ordre établi. La destinée toute tracée de personnages comme Eren, Christa ou même du jeune Grisha, leur devient inacceptable et les force souvent à se rebeller contre l’autorité. Et la question du libre arbitre et des conséquences souvent désastreuses de leurs choix revient souvent dans des passages où Eren se croit suffisamment indispensable à l’humanité pour que ces compagnons d’armes se sacrifient pour lui. Ce qui est d’ailleurs intelligemment mis en exergue par le personnage de Livaï, le mentor et modèle, qui, à plusieurs moments fatidiques, laisse à Eren le soin de faire son choix, passer à l’action ou laisser ses compagnons le protéger à cause de son importance. Le thème du choix sera d’ailleurs au centre d’un des meilleurs épisodes de la série où les héros, divisés par un choix cornélien, devront utiliser une dose de sérum pour sauver un de deux de leurs compagnons tombés au combat mais tous deux fins stratèges et donc indispensables à leur lutte.


La série n’a bien évidemment rien de manichéenne et se voit traversée par bon nombre de protagonistes aux psychologies ambivalentes. Les apparences en deviennent d’ailleurs souvent trompeuses et l’auteur s’amuse à développer une mythologie qui nous réserve bon nombre de coups de théâtres et autres surprises (il est très difficile de deviner la continuité des événements tant l’auteur cherche toujours à nous surprendre avec son univers). Tout cela pour nous offrir une sorte d’uchronie allégorique et fantastique dissertant à merveille sur l’humanité et sa propension à la xénophobie, à l’obédience aveugle, à l’endoctrinement, aux cultes trompeurs et aux conflits de territoires. Les spectres du nazisme et de l’oppression du peuple juif se retrouveront quant à eux de manière évidente dans les troisième et quatrième saisons nous donnant à comprendre les motivations de l’autre camp, celui des envahisseurs, en se focalisant cette fois sur leur point de vue. L’intrigue alterne adroitement phases explicatives (donnant lieu à pas mal de longs tunnels de dialogue, importants à la compréhension de la suite de l’histoire) et phases d’action donnant lieu à des batailles et des combats s’étalant souvent sur plusieurs épisodes.


L’animation se révèle quant à elle de très bonne facture et donne à l’anime une identité propre, puisant ses influences esthétiques dans la hight fantasy, le steampunk et l’imagerie médiévale pour nous offrir au final un univers visuellement atemporel et singulier, inédit dans les paysages du manga et de la fiction en général. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la qualité des graphismes de la série se démarque de celle des dessins du manga dont elle s’inspire. La qualité du travail des animateurs se retrouve aussi dans les longues séquences d’animation, particulièrement virtuoses (les recours à l’infographie sont évidemment justifiés par les manœuvres tridimensionnelles des personnages face aux titans) et donnant lieu à pas mal de morceaux de bravoure dont on retiendra surtout les deux interventions héroïques de Livaï face au titan féminin et au titan bestial, ainsi que celle purement jouissive où deux des héros viennent enfin à bout du titan colossal (un monstre de 60 mètres de haut quasi-invulnérable et deux jeunes héros prêts à se sacrifier, le genre de séquence où on applaudit presque la victoire des héros tant celle-ci semblait impossible).


Personnellement, j’ai longtemps snobé le manga et cette série d’animation, bêtement influencé que j’étais par un mauvais papier dans un magazine dont je tairai le nom. Il aura fallu que ma compagne m’encourage à dépasser ces a priori pour comprendre pourquoi ce manga eut un tel succès. J’ai donc découvert la série sur le tard et ne peux aujourd’hui que lui reconnaître cette somme de qualités qui en fait une série particulièrement addictive et surprenante. Certains détails de l’intrigue sont parfois si bien placés au fil de la série, de manière à faire échos plus tard aux révélations de la fin de l’histoire, qu’on en vient rapidement à se demander si l’auteur n’avait pas déjà tout en tête avant de commencer à nous la raconter. Bien sûr, on attend toujours la fin de l’anime qui tarde à nous parvenir ici en France. Mais la série restant particulièrement fidèle au manga, il y a fort à parier que sa conclusion (qui, comme pour les derniers Star Wars, a clairement divisé les fans, certains s’avérant incapables de comprendre qu’une œuvre appartient avant tout à son auteur) soit tout aussi mémorable. À conseiller donc… surtout aux récalcitrants.

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