Il serait amusant de commenter la série Mon oncle Charlie à l’aune de l’ère post-MeToo et des révisions woke et censures de notre époque.
Les responsables d’une sitcom prenant pour héros un riche oisif, séducteur invétéré, alignant les conquêtes les plus superficielles et naïves, auraient en effet de quoi se prendre une volée de bois vert par certaines ligues actuelles.
Ce serait oublier que les auteurs de la série s’amusent constamment à égratigner le cynisme tranquille de leur “héros”, notamment en le mettant en présence d’un frangin maladroit et profiteur et un neveu aussi feignant qu’agaçant. Le trio au centre des huit premières saisons fonctionne ainsi comme un excellent moteur comique, les bricoles du clown blanc Alan répondant constamment à la suffisance espiègle de l’alphonse Charlie. Et ce même si les rôles sont parfois inversés.

Comment ne pas rire devant la résilience absurde, la radinerie et la maladresse d’Alan Harper, véritable héros de la série, parfaitement servi par le jeu burlesque de Jon Cryer ?
Comment ne pas rire deux fois plus forts devant le stoïcisme et le pragmatisme tranquille de l’hédoniste Charlie, la bêtise incurable de son neveu, le narcissisme d’Evelyn Harper, les apparitions délirantes de la psychopathe Rose et les réparties lapidaires de Bertha ?
Enfin, comment ne pas prendre un malin plaisir à voir la vision superficielle du séducteur impénitent qu’est Charlie se heurter aux choses habituelles que sont l’amour, la vie de couple, le mariage et même, chose inconcevable pour cet oisif, le travail ? La scène où il se retrouve coincé dans les bouchons sur l’autoroute à 7h du matin en se demandant “Qui sont tous ces gens ?” résume à elle seule la psychologie d’un personnage payé une fortune pour composer grossièrement au piano des jingles pubs débiles.

Bien sûr, la réussite de la série et son succès stratosphérique ont à l’époque été entachés par les frasques et les caprices d’un Charlie Sheen de plus en plus ingérable sur le tournage, et ce malgré son cachet de plus d’un million par épisode (le plus gros salaire jamais versé à un acteur pour une série télévisée). Accroc à la drogue, Sheen nous paraît subitement amaigri entre deux épisodes de la saison 8. Et ses inimitiés avec le producteur Chuck Lorre (futur créateur de l’autre grand succès The Big Bang Theory, beaucoup moins corrosif) pousseront ce dernier à prendre une mesure inattendue : virer sa star et tuer son personnage pour ouvrir la neuvième saison sur des funérailles hilarantes et poursuivre par la mise en présence d’un nouveau duettiste pour Alan, le milliardaire naïf et romantique Walden. L’antithèse de Charlie Harper, moins drôle mais plus sympathique, et dont le jeu de grand enfant d’Ashton Kutcher (habitué des sitcoms : The 70’s show puis plus tard The Ranch) permettra à la série de durer encore quatre ans de plus, notamment grâce à la bonne alchimie qui se dégagera de son duo avec Jon Cryer.
A ce titre, on ne peut que souligner une fois encore la bêtise des commerciaux français qui plutôt de diffuser la série sous son titre original ou sa traduction, Two and a half men (Deux hommes et demi), lui ont préféré le plus simple Mon oncle Charlie, comme si l’histoire nous était narrée par le gamin Jake (un peu comme dans Malcolm), ce qui n’est pas le cas. Sachant que le personnage de Charlie Harper est absent des quatre dernières saisons, le titre français n’a plus aucun sens, et les responsables de ce retitrage ont dû se trouver un peu cons quand ils ont appris l’éviction de Charlie Sheen.

Peu importe au final. Les gags se succèdent à un rythme métronomique dans cette série culte, portée par des dialogues savoureux et des situations hilarantes. Les guests stars s’enchainent (Sean Penn, Harry Dean Stanton, Robert Wagner, Jenny McCarthy, Martin Sheen, Emilio Estevez, Michael Clarke Duncan, Jenna Elfman, Steven Tyler, Kathy Bates, Gary Busey, Arnold Schwarzenegger) et il est même assez drôle de constater que le trio comique Charlie Sheen/Jon Cryer/Ryan Stiles s’était déjà croisé dans les deux films parodiques Hot Shots ! de Jim Abrahams.
Le génie comique de la série s’essouffle un peu sur les deux dernières saisons mais le tout s’achemine vers une conclusion particulièrement réjouissante dont la dimension méta et absurde questionne non seulement le succès d’une série au développement chaotique, tout en mettant en exergue l’absence de sa principale star.
Alors, où est Charlie ?
Sous le piano bien sûr.

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