Le premier Scream avait su rebooster un genre moribond grâce à un scénario habile signé Kevin Williamson, qui se détournait des codes propres au slasher tout en en commentant les mécanismes rigides (poncifs des scream queen aux QI d’huitres, don d’ubiquité du tueur, masque personnifiant l’inhumanité de celui qui le porte, celui de Ghostface renvoyant intelligemment à la terreur de ses victimes…). Le tueur n’y était plus un surhomme invulnérable, impossible à tuer et incarnant à lui-seul une répression conservatrice (pas de sexe les jeunes, sinon…) mais un simple jeune homme psychotique voulant venger l’affront qui avait été fait à sa famille. Le semblant d’ubiquité du tueur quant à lui se voyait enfin expliqué par le fait que cet assassin avait simplement un complice. Le carton de Scream relança à la fois le genre et la carrière de son réalisateur, Wes Craven, qui se dépêcha d’y apporter une suite tout aussi audacieuse où le ou les successeur(s) du premier Ghostface réussissai(en)t l’exploit de tuer cette fois en public ou dans un parc en plein jour, le final du film sur la scène de théâtre ne faisant que répondre à l’intro dans le cinéma comme une mise en abîme de la vie fictionnelle de l’héroïne et de l’aura tragique qu’elle prenait (ses proches se voyant décimés systématiquement). Le tueur Ghostface, lui, se dotait de sa propre existence, comme le même masque qui revenait inlassablement hanter l’héroïne et ceci, au-delà du mobile qui animait ceux qui le portaient à tour de rôle. Le whodunit, procédé littéraire largement popularisé par Agatha Christie, devenait alors une composante essentielle de chaque opus et se retrouvait à nouveau au cœur de Scream 3, opus moins abouti (et scénarisé par Ehren Kruger) mais suivant une continuité logique (les méfaits du tueur prenaient enfin pour cadre Hollywood et le tournage d’une seconde suite de Stab, le film dans le film) et pensé par Craven comme le dernier opus d’une trilogie dans lequel l’assassin révélait encore un lien fort avec l’héroïne.

La mode du torture porn et des zombie movies ayant supplanté celle des slashers durant les années 2000, Craven revint finalement à la saga en 2011 via un Scream 4 marqué par le retour de Kevin Williamson au scénario et qui, s’il commentait habilement son époque, l’évolution du cinéma d’horreur ainsi que les dérives des médias et des réseaux sociaux, n’apportait rien de bien folichon à une saga qui n’avait de toute évidence plus grand chose à dire. La dimension méta-textuelle propre à chaque Scream et les commentaires auto-référentiels inhérents à l’exercice ouvrirent pourtant la voie à un cinéma d’horreur moderne plus intellectuel, voire parfois plus prétentieux, dans lequel une nouvelle génération de réalisateurs/auteurs se plurent à sur-commenter et analyser les dérives de leur époque ainsi que les mécanismes d’un cinéma horrifique à bout de souffle. Beaucoup de cette nouvelle fournée de film d’horreurs furent ainsi pensés systématiquement comme des films à sous-textes se plaisant à analyser les codes de leur propre intrigue (Get out, Us, It Follows…) comme l’avait fait à son époque le premier Scream. Mais les Jordan Peele et autres David Robert Mitchell peuvent aussi donner l’impression de voir leurs propres films comme “autre chose” que de simples films d’horreur. Ils semblent avoir la même prétention qu’avait eu Kubrick lorsqu’il réalisa Shining et qu’il présenta à son époque comme “bien plus qu’un film d’horreur“. Comme si le genre en soit était trop honteux et simpliste pour répondre aux aspirations de ces cinéastes.

Bref, dans le contexte de ce nouveau cinéma d’horreur moderne, il était inévitable de voir sortir un cinquième opus Scream, et ce malgré le décès en 2015 de son réalisateur historique, Wes Craven. Confié à un duo de jeunes réalisateurs, Tyler Gillett et Matt Bettinelli-Olpin (Wedding Nightmare), ce cinquième opus, sobrement intitulé Scream (ce qui est sympa pour ceux qui plus tard voudront voir ou découvrir le premier film et tomberont sur le cinquième, un peu comme avec les deux Halloween reprenant le titre du film de Carpenter) joue ainsi pleinement de son statut de film méta en prenant à nouveau pour référence le premier opus de 1996 et en justifiant son existence par la mise en présence de nouveaux protagonistes, les anciens survivants revenant ici pour mieux cautionner cette nouvelle intrigue et passer le relais. Cela suffit-il à faire de Scream 5 une suite, sinon utile, au moins originale ?

Pas vraiment.

Conscients qu’ils ne peuvent plus se permettre de céder au schéma classique imposé par Williamson (meurtre d’ouverture, exposition resituant les personnages et en présentant d’autres, enquête, meurtres, whodunit et final réunissant les survivants dans une même unité de lieu, révélation de l’identité du tueur, speech de ce dernier et inversion du rapport de force) et que ce dernier brisa néanmoins dans Scream 4, les scénaristes de ce nouvel opus James Vanderbilt et Guy Busick s’essaient quelque peu à contourner les codes dès leur première séquence, notamment en choisissant cette fois de ne pas tuer la “première victime”. Celle-ci servira juste à présenter un nouveau contexte ainsi que deux nouvelles héroïnes liées au passé de la saga (Sam et Tara Carpenter, on appréciera la référence évidente), l’originalité étant ici que le lien de parenté n’implique plus les Prescott. Comme pour le premier et le quatrième film, le film se déroule à nouveau à Woodsboro et nous met en présence d’une nouvelle génération de personnages à laquelle viendront bien entendu prêter main forte les trois survivants historiques de la franchise. Les commentaires méta-textuels sur les mécanismes scénaristiques et de mise en scène (la fameuse porte que l’on referme et derrière laquelle…) sont bien entendu de rigueur, tout comme le jeu du whodunit inhérent à chaque opus ainsi que la “voix” de Roger L. Jackson. Mais ce Scream cinquième tuerie se démarque surtout des quatre premiers films par sa violence, bien plus réaliste, voire carrément complaisante. Ici, les coups de couteau du tueur ne sont pas filmés à la légère et les trépas s’avèrent bien plus douloureux, le nouveau Ghostface prenant un horrible plaisir à s’acharner sur le corps de ses victimes. Bien sûr, il se révélera tout aussi doué d’ubiquité que ses prédécesseurs, ce qui pose rapidement la question de savoir s’il s’agit encore d’un duo de tueurs ou, plus improbable, d’un tueur solitaire, ce cas-là n’étant arrivé qu’une fois dans la saga. Et bien sûr, Ghostface reste relativement peu sensible aux balles et toujours aussi maladroit (la malédiction du masque voulant que chaque tueur se casse souvent la figure en poursuivant ses victimes).

Attention, spoil dans ce qui suit.

Surtout, les réalisateurs savent très bien que leur film ne se démarquera pas suffisamment des autres s’ils n’osent pas enfin sacrifier un des personnages-phares de la franchise. Un choix qui nous est asséné lors d’une scène tout aussi brutale qu’ironique, le téléphone portable, objet indissociable de la franchise, devenant ici l’objet qui perdra ledit personnage sacrifié.

Au-delà de ça, Scream 5 ne propose rien d’exceptionnel. Il présente d’ailleurs tous les symptômes de ces séries de vieux slashers 80’s qui ne voulaient pas finir, entre la tentative de présenter de nouveaux personnages, le retour aux sources des premiers rescapés, et le retour iconique d’un tueur qui n’a plus vraiment de raison d’être. Cela se verra d’ailleurs dans la révélation finale de l’identité du (des) assassin(s) lesquels, comme Stuart dans le premier film, Mickey dans le second et Charlie dans le quatrième, ne sont que de simples fans allumés et psychotiques sans véritable mobile et se servant du masque pour laisser libre cours à leurs instincts meurtriers. Peinant visiblement à trouver un réel mobile aux tueurs, les scénaristes en feront finalement la personnification d’un double-discours : la critique des fans toxiques et autres haters pullulant sur la toile, jaloux de “leurs” films et ne supportant par l’apport de suites décevantes (comme celle-ci…), et la métaphore de scénaristes voulant apporter leur propre pierre à l’édifice et rendre un hommage morbide à une saga dont ils sont fans (Scream/Stab) pour mieux la relancer. Bref, le fan service poussé jusqu’à l’idée de tuer. L’ironie étant que ces deux nouveaux assassins s’avèrent finalement eux-mêmes prisonniers des codes d’une suite qui ne leur permet pas d’exister autrement que comme de banals psychopathes aussi volubiles que l’était Mickey Altieri à la fin de Scream 2. En ce sens, leur speech final nous présente moins deux personnages crédibles que deux caricatures de fans complètement givrés, incapables de discerner le bien du mal et dont le sort, tout aussi douloureux que ce qu’ils auront infligé à leurs victimes n’aura finalement que peu d’impact sur le spectateur blasé par un film qui ne fait que répéter et distordre avec plus ou moins de malice ce qui a déjà été fait. Bien sûr, mieux vaut fermer les yeux sur la floppée d’incohérences qui parsèment l’intrigue, l’énorme facilité voyant la nuit tomber subitement entre les meurtre de la shérif Judy Hicks et de son fils Wes et l’arrivée de Dewey et Gale à l’hôpital (Woodsboro est pourtant censée être une petite ville) et le fait que Richie ayant été souvent présent aux côtés des héroïnes, cela signifie que c’est sa complice, Amber, qui s’est occupée de l’essentiel des meurtres du film (elle est très forte vu son petit gabarit). Et oublions aussi le fait que Ghostface a l’air de mesurer à chaque fois un bon mètre quatre-vingt quand il est évident que c’était à ce moment-là Amber qui portait le masque. Mais bon, vu toutes les incohérences que compte la saga, on n’en est plus à quelques-unes près.

Ce Scream version 2022 peut donc se voir et s’apprécier comme une suite distrayante mais au demeurant complètement inutile. La trajectoire de Sidney est bouclée depuis la fin de Scream 3, Dewey et Gale ne servent que de repères affectifs au spectateur et Ghostface n’a plus aucune raison d’être derrière son masque. Le succès du film engendrera bien sûr un sixième opus dont le principal argument sera de plonger cette fois le tueur et ses victimes dans un environnement urbain autrement plus peuplé, impliquant des meurtres en public (comme certains de Scream 2) dans une New York qui fut déjà le théâtre de bon nombre de slashers (Vendredi 13 L’Ultime retour, les Maniac Cop). Un contexte intéressant mais peut-être finalement moins vendeur que symptomatique d’une franchise d’horreur arrivant en bout de course et qui comme son boogey(wo)man vedette… refuse toujours de mourir.

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