Il semble un peu facile de critiquer Robert Rodriguez au vu de la qualité inégale de sa filmographie et du peu de sérieux qu’il injecte généralement dans ses mexican flicks (la trilogie Desperado, le diptyque Machete). Le meilleur de sa carrière, Rodriguez le doit à ses associations avec des gars comme Tarantino ou Frank Miller (Cameron avec Alita ? Non merci.) Son amitié avec le réalisateur de Pulp Fiction n’est d’ailleurs plus un secret et on sait à quel point ces deux-là semblent s’être bien trouvés, qu’il s’agisse des cinq minutes de film que Rodriguez accordait à Tarantino dans son Desperado, de leur collaboration gagnante sur From dusk till dawn, de la petite participation de Tarantino à la réalisation de Sin City ou encore de leur diptyque Grindhouse.

Sorti à l’été 2007, ce diptyque découle d’un projet commun nourri par les deux cinéastes au lendemain de leurs retrouvailles sur Sin City. Unis dans une même volonté de rendre hommage aux petits films d’exploitation tournant en double programme dans les grindhouses (des petits cinémas de quartier américains) de leur jeunesse, Tarantino et Rodriguez ont souhaité l’un et l’autre se plier à l’exercice du film (faussement) mal branlé pour revenir à cet esprit de série Z dont ils raffolaient. Ainsi, lorsque Tarantino manifeste plutôt son envie de tourner une sorte de slasher et se résout finalement à dériver vers le psycho-killer movie routier aux tendances pseudo-féministes et inutilement verbeuses, Rodriguez, lui, souhaite simplement tourner un film de zombie car dit-il en 2006 (soit en plein revival des films de zombie initié par 28 jours plus tard et poursuivi par Shaun of the Dead, Land of the Dead et L’Armée des morts) : “J’ai voulu faire ce film car ça fait longtemps qu’on a pas vu de films de zombies.” … Bref, soit Rodriguez se fichait de son interviewer, soit il n’était pas au courant des films qui se faisaient à son époque.

Et c’est marrant parce que, si généralement Tarantino sort toujours gagnant de la comparaison avec les films de son compadre Rodriguez, force est de constater qu’au jeu du grindhouse movie, ce dernier s’en sortait nettement mieux que le réalisateur de Death Proof. Ceci s’explique par sa manière d’aborder un tournage, de filmer en numérique plutôt qu’en pellicule (ce qui induit beaucoup moins de coût et de retard), de ne pas tout vouloir contrôler maladivement à l’image (Rodriguez étant loin d’être un formaliste irréprochable, il peut ici tout à loisir laisser passer certains mauvais cadrages) et surtout de ne pas enterrer ses films sous une tonne de dialogue cache-misère, comme s’évertuait vainement à le faire Tarantino dans son thriller de lap dance et de crash routier.

En cela, Planète terreur se révèle nettement plus appréciable que Death Proof dans sa tentative de cligner de l’œil aux bons vieux films de série Z des années 70 : exposition efficace, présentation fluide des personnages et de leurs interconnections, et surtout une sacrée dose de dérision. Il faut dire que Rodriguez s’était déjà quelque peu plié à l’exercice avec le très horrifique From dusk till dawn onze ans plus tôt. Mais là où ce dernier film s’appuyait essentiellement sur une intrigue très premier degré et une caractérisation et des enjeux plus dramatiques, Planète terreur assume complètement sa fonction parodique en abusant non seulement d’une photographie sacrifiée (par l’entachage systématique de l’image mimant le grain et les sauts de vieille pellicule ainsi que les couleurs parasites) que d’un humour absurde, caractérisée par des dialogues décalés et plutôt bien trouvés, des running gags efficaces (la fameuse recette de barbecue, les mains anesthésiées de Marley Sheton…), un humour bien trash et des effets gores particulièrement excessifs (les gerbes de sang sont telles qu’elles feraient rougir Paul Verhoeven). Par ailleurs, Rodriguez réussissait à appuyer l’horreur graphique de son invasion zombie par des visions bien dégueulasses sans jamais oublier de mettre en avant l’aspect grotesque et totalement fake des SFX et des maquillages (voir les métamorphoses finales des personnages de Bruce Willis et de Tarantino ou encore l’hilarante explosion de la tête de Naveen Andrews). Mieux encore, dans un savoureux doigt d’honneur nous étant adressé, le réalisateur se permettait une énorme ellipse à quarante minutes de la fin, censée s’expliquer par la disparition d’une bobine entière et nous privant non seulement de la grande scène d’amour du film mais aussi de tout un segment d’action où un des personnages principaux était mortellement blessé par un de ses adjoints et où toute la vérité sur l’identité et le passé d’El Rey avait été enfin révélé sans qu’on puisse y assister. Une idée sympathique qui allait bien évidemment dans le sens de l’hommage au côté bricolé des péloches d’exploitation voulu par Rodriguez tout en lui permettant de ne pas trop se répéter dans une énième scène d’assaut des zombies.

Pour formaliser ce délire, le réalisateur pouvait se reposer sur un casting efficace : Michael Biehn nous y revenait en grande forme après des années resté dans l’ombre, Jeff Fahey cabotinait dans un double rôle savoureux de vilain affairiste et de sympathique plouc, Josh Brolin se la jouait très Nick Nolte (son jeu m’évoque beaucoup celui de l’immense acteur avec qui Brolin avait joué dans Le Veilleur de nuit) dans un rôle de vilain époux terrifiant sa femme, Naveen Andrews se la racontait en gangster collectionnant les burnes de ses victimes, Freddie Rodriguez tournait en dérision sa petite carrure en jouant l’archétype de l’anti-héros légendaire et surtout Rose McGowan (avec qui Rodriguez aura une liaison suite à leur rencontre sur ce film) incarnait une stripteaseuse au grand cœur, transformée par la force des choses en icône guerrière et absurde (très loin de son rôle de victime dans Death Proof où elle héritait tout de même des meilleurs dialogues avec Kurt Russell).

Une fois n’est pas coutume, le cinéaste ne rechignait évidemment pas à réemployer pour l’occasion pas mal d’acteurs qu’il avait déjà dirigé : Bruce Willis y cachetonnait dans un rôle de bidasse badass très secondaire, Marley Shelton y incarnait une épouse adultère et prisonnière d’une relation toxique, Tom Savini s’amusait à nouveau à se faire mettre en pièces, le premier Mariachi Carlos Gallardo s’y faisait lui aussi mettre en pièces, Michael Parks y retrouvait son rôle iconique d’Earl McGraw, les acteurs fétiches du cinéaste Danny Trejo, Cheech Marin et Tito Larriva participaient au délire d’un faux teaser complètement what the fuck (qui aboutirait au bien moins amusant film Machete) et Quentin Tarantino se faisait à nouveau plaisir à jouer une grosse ordure suintant de merde (dans tous les sens du terme).

A l’issue de ce foutoir, des enjeux colossaux (l’avenir du monde) balayés par la mort ridicule du seul savant pouvant enrayer l’épidémie, des rescapés loin d’avoir mérité leur salut (le tenancier du peep show, les jumelles complètement hystériques), une chronologie complètement bazardée par le réalisateur (tué par les frères Gecko au début de From dusk till dawn, Earl McGraw survivait ici à l’apocalypse), un groupe de survivants caricaturaux formé autour d’une improbable figure messianique (loin de tendre l’autre joue, Rose McGowan tendait plutôt la Gatling) et un monde entier que le cinéaste prenait un malin plaisir à envoyer se faire foutre dans un épilogue évoquant fortement l’ironique simplicité de celui du Mars Attacks de Tim Burton. De quoi apprécier jusqu’au bout le délire, tout en savourant un bon paquet de chips… saveur barbecue bien sûr.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *