Difficile de critiquer Tarantino sans s’attirer les foudres des cinéphiles nostalgiques des très bons Reservoir dogs, Pulp fiction, Jackie Brown ou Kill Bill. Chacun de ses films ont tous bénéficié de critiques élogieuses vantant l’audace et le talent derrière leurs structures éclatées, leurs personnages azimutés et leur liberté de ton alternant entre humour, clins d’œil référentiels et éclats de violence.

Pour autant, Tarantino n’a pas toujours livré des films irréprochables.
A mon humble avis, on a même passé un peu les bornes en encensant le dernier film du cinéaste, Once upon a time in Hollywood, qui n’est à mon sens rien d’autre qu’une œuvre ennuyeuse, formellement aboutie certes mais étirant allègrement en longueur un scénario dénué d’intrigue, uniquement bâti sur le fantasme des sixties californiennes, la réunion tant attendue de son duo d’acteurs vedettes, et la réécriture dans le gore (encore) de la triste histoire. Un film à Oscars donc, et vendu comme tel à travers son titre.
Il reste néanmoins plus appréciable que Death Proof (retitré en vf Boulevard de la mort), faux pas autrement plus gênant du cinéaste, réalisé pourtant près de quinze ans auparavant. Entre les deux, trois bons films.

Il est intéressant de revoir un film comme Death Proof du haut de notre époque, notamment en gardant en tête le mouvement MeToo qui eut lieu entretemps et qui prit justement ses racines dans les agissements du principal mécène de Tarantino.
Impossible alors de ne pas voir ce Boulevard de la mort comme un témoin de l’énorme hypocrisie qui régnait en 2007, quand toute une ribambelle de jeunes actrices faisaient le pied de grue pour passer devant la caméra du réalisateur-star et que l’une d’entre elles, déjà intronisée auprès du producteur à l’époque de Scream, devint justement par la suite la principale dénonciatrice des agissements criminels du nabab. Nul doute que l’ambiance devait être très Californication en coulisses.

Alors bien sûr, on peut toujours se dire que Death Proof est loin de tout ça, qu’il n’est qu’une péloche décontractée, et que Tarantino l’a pensé et présenté à l’époque uniquement comme un hommage aux films grindhouse des années 70, une parodie de film d’exploitation appuyant continuellement ses effets par des parti-pris stylistiques outranciers et un mauvais goût évident. L’occasion parfaite pour le cinéaste de s’amuser avec les codes de la mise en scène et de la photographie en jouant avec les filtres, les noirs et blancs, les coupures et les sauts de pellicule, tout en maitrisant sa mise en scène et en faisant semblant de ne pas trop se prendre au sérieux, comme l’a souvent fait et le refera son pote Robert Rodriguez (Desperado 2, Machete).

Ce faisant, le cinéaste nous déroule un film dont l’intrigue (si l’on peut parler d’intrigue…) se révèle particulièrement famélique et bêtement divisée en deux parties : celle où le méchant gagne, celle où le méchant est puni. Chacune de ces deux parties, outre la structure répétitive qu’elles imposent, s’articule autour de deux groupes différents de jeunes femmes passant leur temps à bavarder sur des choses aussi intéressantes que leurs histoires de cul, leurs bécotages, les hommes qui leur courent après, les choses qu’elles autorisent à leurs petits amis, leur pari sur une lap dance… Toujours prompt à la logorrhée, mais sans son talent des débuts, Tarantino s’enlise ici un peu trop dans des dialogues fades et sans grande saveur, contrairement à ceux de Pulp fiction, Jackie Brown ou encore ceux de son film suivant Inglorious Basterds.
Chacune des deux parties composant Death Proof s’achemine vers une confrontation spectaculaire avec le même prédateur, véritable boogeyman routier confondant coït et collisions, pulsions sexuelles et pulsions de mort. Mais les deux scènes d’actions présentées en point d’orgue sont au final si longues à venir qu’on réalise qu’on aurait pu gagner près d’une heure trente de sa vie à zapper les trois quarts du film pour en regarder les deux climax ou au moins la course-poursuite finale.

Le principal problème de Death Proof est donc son scénario. Mal structuré, inutilement verbeux, tirant allègrement à la ligne, il n’est qu’un alignement de dialogues puérils et superficiels caricaturant au possible deux groupes de jeunes femmes qui passent leur temps à babiller sur le sexe et qui perdent ainsi rapidement l’intérêt du spectateur.
Il semble d’ailleurs que Tarantino n’avait pas d’autre sujet en tête à l’époque que le beau sexe, preuve en est cette scène (totalement inutile, au passage) où il se met en scène en tant que tenancier de bar, Warren, entouré de belle compagnie, une fille trente ans de moins que lui assise sur ses genoux, et invitant tout le monde à boire un coup de Chartreuse. On pourra aussi s’interroger sur le personnage du bidasse violeur frétillant de la nouille qu’il incarnait volontiers (il faut dire que le cinéaste a toujours aimé jouer les pourris : From dusk till dawn, Django Unchained…) dans l’opus Grindhouse de Rodriguez, Planète Terreur, sorti la même année. Peut-être s’agissait-il d’une critique déguisée des agissements d’Harvey Weinstein, dont Tarantino avait très probablement entendu parler des exactions depuis leur première collaboration en 1992.

Quoiqu’il en soit, Death Proof c’est un peu comme si Tarantino filmait Les Anges de la téléréalité dans un coin paumé des States, avec pour principal argument de faire revenir sur le devant de la scène un acteur génial mais sous-exploité.
Car il faut bien avouer que l’intérêt du film ne tient réellement qu’aux interventions de Kurt Russell (qui bénéficie des meilleures lignes de dialogues, notamment lors de ses scènes avec Rose McGowan) jouant ici la caricature d’un pervers vieillissant qui cache sa frustration sexuelle derrière son sourire enjôleur et ses quelques réparties tranquilles. Le voir chialer et servir de punching ball en fin de course a bien évidemment de quoi faire sourire le spectateur tout en faisant passer Tarantino pour un redresseur de torts.

Mais, bien incapable de lui opposer des personnages féminins pensés autrement que comme de simples faire-valoir, des cascadeuses ou de jolis minois, le cinéaste s’est vautré pendant presque deux heures dans l’exercice de style bavard et totalement vain.
Et sa mise en scène, si elle joue allègrement du prétexte de la pellicule abimée pour alterner cadrages étudiés et montage volontairement maladroit, finit hélas par crouler sous les plans pseudo-érotiques où l’objectif s’attarde systématiquement sur les formes de ses nymphettes.
Ça en est à un point qu’on a parfois l’impression que Tarantino pose réellement un regard vicelard sur ses images tant il hypersexualise ses actrices et abuse un peu/beaucoup, des plans sur leurs pieds (oui on sait, il est fétichiste…), leurs jambes et leurs culs.

Et là, j’entends de loin arriver en gueulant l’ardent défenseur de Tarantino :
Non, mais tu ne comprends pas ce que QT a voulu faire. S’il s’attarde autant sur le fessier de ses actrices c’est parce qu’il a voulu rendre hommage à certains films d’exploitation des 70’s qui ne faisaient que ça. Sous ce prétexte futile, il déshabille certes ses actrices sous son objectif pour mieux en faire les proies d’un prédateur masculin mou du gland, représentant à lui seul toutes les dérives machistes : grosse voiture vrombissante, vieux beau à grande gueule, la réalité de l’époque quoi…
Et non, Tarantino n’a rien d’un vieux vicieux comme tu sembles le croire. C’est juste un cinéaste qui aime mater les courbes de ses jeunes starlettes et le hurle avec sa caméra. Il ausculte leurs corps et leur fait parler de sexe à longueur de film pour mieux affirmer leur liberté
.
D’ailleurs si tu as bien suivi, dans la toute dernière bobine, à la fin de cette putain de course-poursuite over jouissive, il ridiculise le méchant oppresseur et fait gagner les filles en mode girl power. Tous ces dialogues à la Nabilla c’était pour mieux préparer cet acte final, complètement fun
.

Ce à quoi je lui répondrais qu’il a probablement raison. Sept jeunes femmes qui ne parlent que de ça et de rien d’autre, ce n’est pas du tout réducteur ni caricatural. C’était d’ailleurs probablement l’effet voulu par Tarantino, faire du pseudo-féminisme en abusant des clichés sexistes. Son gros plan sur l’ornement de la Dodge Charger en guise de phallus de Stuntman Mike en est un des nombreux exemples. Ce qui était probablement moins voulu en revanche c’est cet énorme vide narratif de deux fois quarante minutes qui précède chaque climax en voitures et qui suffira à ennuyer à mort tout spectateur qui n’en a rien à foutre du prestige de Tarantino.

Car c’est un fait, on s’emmerde… C’est un peu comme si le réalisateur ne savait pas quoi raconter de réellement intéressant pour combler les vides de son script et justifier son grand tour de force, la course-poursuite finale. Une course-poursuite par ailleurs totalement injustifiée lorsqu’on réalise que pour sauver leur amie coincée sur le capot, il suffirait juste que les filles ralentissent et stoppent leur voiture (elles en ont plus d’une fois l’occasion quand Mike roule sur la voie inverse). Sacrée suspension d’incrédulité…

Bien sûr, à ce stade-là, Tarantino n’en a définitivement plus rien à faire de se mettre au service de son histoire, il se regarde juste filmer une course-poursuite… parce que c’est Tarantino. Si Death Proof avait été un film exactement similaire mais signé par quelqu’un d’autre, les critiques auraient été probablement moins élogieuses.

Et puis au passage, tant pis si le trio de last stand girls ont laissé en caution leur copine pompom-girl à un prédateur sexuel en puissance. Après tout, la scène où la jeune Lee (Mary Elizabeth Winstead) se réveille devant les ricanements très “Butt-Head” du redneck est juste marrante. Ça a dû bien faire rire Harvey aussi.

Quand on en vient à encenser un film comme Death proof et à le prendre pour ce qu’il n’est pas (c-a-d un film réussi), simplement parce qu’il est signé par un auteur à la forte popularité, la cinéphilie flirte avec le manque d’objectivité (voire carrément avec l’hypocrisie) et l’amateur ne sait plus trop quel argument avancer pour excuser le regard que pose ostensiblement le cinéaste tant adulé sur ses actrices, pour justifier son script bourré de longueurs et de dialogues inutiles. Un simple coup d’œil caméra de Stuntman Mike servira de parfait prétexte au réalisateur pour se dédouaner.
Il sait que rien ne pourrait émousser l’admiration des fans ou les inciter à distinguer le meilleur du pire dans une même filmographie. Rien ne justifierait de ternir l’image d’un cinéaste comme lui malgré tous les voyants rouges qui s’allument durant son film.

Et pourquoi pas ? Le carton du très long Once upon a time in Hollywood l’a prouvé.
Peut-être en est-on à un stade où Tarantino s’autorisera un jour à réaliser un film avec pour seule vedette un acteur sur le retour qui, agenouillé pendant deux heures, déféquerait plein cadre tout en monologuant sur la splendeur perdue du cinéma des seventies.
Les Inrocks salueraient alors la beauté des images et l’audace d’un cinéaste filmant sans aucune entrave tandis que Première y verrait certainement une critique acerbe et jusqu’au-boutiste du cinéma chiant. Mais pas un seul n’aurait l’honnêteté ou le bon sens de dire de ce même film et de son intrigue qu’ils sont réellement… à chier.

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