S’il parait bien inutile de le rappeler, Ridley Scott est de ces grands formalistes qui, à l’image d’un Spielberg, ont toujours su alterner les genres avec une facilité déconcertante. C’est ainsi qu’au lendemain de son très décrié (mais fascinant) Prometheus, le réalisateur de Blade Runner nous servait ce The Conciliator (réintitulé Cartel en français), un thriller à la distribution prestigieuse, voire un peu too much (trop de beau monde pour beaucoup de petites apparitions), et scénarisé pour l’occasion par l’écrivain Cormac McCarthy, tout juste revenu de son prix Pulitzer pour La Route.

De par le sujet auquel il s’attaque, on aurait pu croire que Cartel se situerait dans la veine cinglante du bancal Savages d’Oliver Stone. Il s’avère que le film de Scott est très différent mais tout aussi atypique, loin des attentes qu’on pourrait en avoir au regard des noms qui y sont associés.
Déjà, le scénario révèle rapidement un gros problème de structure, l’ensemble de l’intrigue se construisant par un alignement de dialogues tantôt maladroits tantôt nébuleux qui trahissent un questionnement philosophique parfois trop appuyé. Ainsi de ces dialogues de sourds entre le personnage de Fassbender, avocat s’enlisant dans une sordide histoire d’association de malfaiteurs et de transaction foireuse, et ceux incarnés par Javier Bardem, Brad Pitt et Rubén Blades.
Si le premier des trois n’aura de cesse de corrompre le héros et de l’entrainer dans son inconséquence (voir son monologue glaçant sur le “bolito”), il est intéressant de constater que le second n’aura de cesse de l’avertir des risques qu’il prend à s’associer avec eux. Un parti-pris d’autant plus ironique au regard de la vaine prudence du personnage, Westray, et de son sort final maladroitement annoncé par McCarthy au détour d’un des premiers dialogues du film.

Œuvre verbeuse avant tout, laissant peu de place à l’action (les scènes de meurtres et de fusillades sont ici très secondaires), Cartel s’achemine lentement vers un fatalisme sans possibilité de retour, le long monologue du chef de cartel incarné par Rubén Blades, terrifiant de pragmatisme, achevant de condamner l’issue de la trajectoire du héros, et ce même si ce dernier n’a finalement que peu de choses à se reprocher.
Le fringuant avocat incarné par Fassbender passe ainsi, comme le dit si bien Rubén Blades, d’un monde de nantis à un autre, celui du crime organisé et de la violence, monde dont il ne soupçonnait pas la sauvagerie et la cruauté implacable avant même de s’y engager et d’en devenir lui-même, par une fâcheuse coïncidence, la victime.
Le titre original, plus loin que la banalité du titre français, prend alors tout de son ironique signification, le “conseiller” joué par Fassbender, totalement paumé au milieu de cette machination, ne faisant que chercher tout au long de l’intrigue les conseils d’associés (Brad Pitt ne cessant de vouloir le dissuader de s’engager sur ce chemin), tous incapables au final de se sauver eux-mêmes. La conversation avec le chef du cartel prendra alors une résonnance existentialiste terrifiante, condamnant la cupidité du héros sans lui offrir la moindre porte de sortie. Toute la formation de sophiste du conseiller juridique n’y fera rien, et l’avocat s’avèrera bien incapable de plaider sa cause devant le pragmatisme tranquille du chef criminel.

Il s’agit ici de fatalité et de châtiment envers ceux qui s’engagent dans une voie dont ils ne soupçonnent pas l’issue la plus redoutable. D’ironie et de vanité pour ceux qui croient pouvoir échapper au poids de leur responsabilité, malgré toute leur intelligence. De quête éperdue d’enrichissement, de suffisance et de négation de sa propre finitude. De prix à payer et de capacité à pouvoir vivre en assumant les possibles répercutions de ses actes. Ainsi le propos du joaillier, incarné par Bruno Gantz, sur la beauté éphémère de la vie et de l’amour, se voit à la fin littéralement jeté aux ordures en même temps que la bien-aimée du héros. Tel le fameux “bolito”, le piège se referme lentement sur les protagonistes et tous semblent croire qu’ils peuvent s’y dérober.

Las, à trop s’éparpiller dans ses idées et sa narration, à trop privilégier le discours sans donner corps à l’exemple, Scott reproduisait in fine les mêmes erreurs que dans son précédent film Prometheus (dans un tout autre genre bien sûr) et échouait quelque peu à raconter une histoire cohérente aux enjeux clairement identifiables. Une histoire dans laquelle on trouvera pourtant un thème commun, ce même regard critique sur la vanité de l’ambition humaine. Ironique donc, tant pour la destinée de ses personnages que pour les aspirations du réalisateur vieillissant, Scott s’étouffant ici clairement sous le poids de sa propre ambition.

Reste que The Conciliator est loin d’être le film raté que beaucoup ont voulu voir à sa sortie en salles. Trop sombre, trop nihiliste, particulièrement désenchanté, le film garde une dimension tout à fait fascinante de par le point de vue glaçant et intransigeant que porte le cinéaste sur ses personnages. En témoigne cette séquence finale voyant la mort horrible d’un des protagonistes, livré à lui-même face à l’inéluctable, en pleine rue de Londres sous le regard impuissant de passants horrifiés. Une scène qui résume à elle-seule le propos pessimiste de ce Cartel et continue de hanter le spectateur longtemps au-delà de sa dernière image.

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