Il est assez curieux, voire carrément étonnant, de se coltiner le visionnage d’un film comme La Forteresse noire à notre époque.
Curieux, dans le sens où il s’agit du premier film, (et seul film fantastique) de Michael Mann, l’illustre réalisateur de Heat, Collateral et du Dernier des Mohicans. Etonnant, dans le sens où loin, très loin de la réussite suggérée par son aura de film culte, et par la renommée de son cinéaste, cette bande sortie en 1983 s’avère aujourd’hui difficilement appréciable si l’on ne s’amuse pas de ses nombreux défauts.
Car oui, La Forteresse noire est une daube, MAIS une daube signée Michael Mann.

Adapté du roman éponyme de Francis Paul Wilson, The Keep (titre original) trahit du début à la fin la débâcle d’un tournage et d’une post-production menés sans véritable cohérence.
Quelques beaux cadrages en préliminaires des futures perles du réalisateur de Heat ne suffisent pas à masquer le ridicule de bon nombre de séquences, de cette abondance d’effets lumineux aussi moches qu’absurdes, de ces effets spéciaux cheap faisant passer ceux de Joséphine ange gardien pour une prestation high cost d’ILM, et surtout, surtout, de cette structure narrative bordélique, construite sur la base d’un scénario aussi pauvre que celui d’un épisode de Sliders, les mondes parallèles.

Pourtant le postulat est sympa : en 1940, une faction de soldats nazis, de passage dans les Carpates, prennent leurs quartiers dans une étrange forteresse abandonnée et réputée hantée. Bien évidemment, les vilains schleus doivent bientôt affronter une force surnaturelle aussi indicible que redoutable.
Dans le roman, il s’agit d’un vampire, vague cousin du célèbre comte Dracula, la trombine aristocrate en moins.
Dans le film, il s’agit d’une sorte de Golem répondant au doux nom de Molasar (prononcé une fois à la fin du film sans même qu’on nous explique comment le personnage qui le mentionne connait son nom…).
Ce vilain monstre aux yeux rouges fluorescents se présente moins comme un vulgaire suceur de sang que comme un suceur de courants d’air à la musculature digne d’un Dwayne Johnson surgonflé, débitant ses conneries avec la voix caverneuse d’un Dark Vador dans ses mauvais jours. Bref, une créature clairement maléfique, pourchassée par son pendant lumineux, le marmoréen Scott Glenn, dont les lentilles bleues iridescentes contrastent très subtilement avec le regard rouge flashy de son jumeau maléfique tout en donnant à l’acteur de Silverado des allures de fremen exilé loin d’Arrakis.
Pendant que les nazis se roulent les pouces dans leur forteresse, que le gentil officier nazi Jurgen Prochnow se prend la langue dans le cul du méchant commandant SS Gabriel Byrne, et que Ian McKellen nous prouve qu’il existât une époque où il fut presque jeune, le gentil alien/fremen Scott Glenn, tout en regard revolver façon Marc Lavoine, use de ses pouvoirs Jedi pour hypnotiser la belle du film afin de coucher facilement avec elle, de la faire tomber éperdument amoureuse en cinq minutes puis de la faire dormir quand elle pose trop de questions (tel un Obi-Wan vicelard suggérant ce qu’il veut à des storm troopers, Scott Glenn utilise ici ses pouvoirs de persuasion extra-sensoriels à des fins légalement répréhensibles).

Dans une accumulation bordélique de séquences sans queue ni tête, l’intrigue s’achemine facilement d’ellipses en ellipses vers la confrontation finale voyant le colossal Molasar se faire latter les fesses par son jumeau bienveillant. Lequel après avoir sorti sa baguette magique de son étui tel un Harry Pointeur disparait dans une gerbe de lumière aussi improbable qu’écœurante, laissant du même coup une amante éplorée et un spectateur hilare devant l’écran.

Arrivé au générique de fin, ledit spectateur se questionne alors : comment Michael Mann, cinéaste formaliste aux tendances control freak, a-t-il pu commettre cette purge ? Pourquoi le film semble avoir été monté à la truelle ? Et enfin, qui peut aujourd’hui regarder cette Forteresse noire et dire honnêtement qu’il s’agit d’un bon film ?
Les acteurs sont mauvais (Gandalf plus encore que tous les autres), les effets spéciaux ringards, les effets stylistiques aussi ridicules que ceux d’un clip de Queen pour Highlander.
Seul le design de Molasar est à sauver de l’ensemble, le bestiau croqué par Enki Bilal semblant préfigurer les ingénieurs de Prometheus ainsi que, lors de sa première apparition, le titan colossal écorché de L’Attaque des titans.

Pour le reste, Michael Mann semble s’être reposé essentiellement sur le travail des techniciens des effets spéciaux ainsi que sur le moral à toute épreuve de son monteur.
Car la structure du film est si anarchique et bourrée de raccourcis qu’on peut aisément s’imaginer l’état d’esprit qui régnait dans la salle de montage. Le monteur a dû se demander plus d’une fois comment il pourrait rendre cohérent un tel foutoir d’images flashy et de séquences s’alignant parfois sans la moindre recherche de transition. Egalement responsable du scénario, Michael Mann semblait alors n’avoir rien compris aux principes élémentaires de la narration séquentielle et de comment passer harmonieusement d’une scène à une autre.

La tentation du fou rire revient donc plusieurs fois durant le visionnage et ce jusqu’au générique final, véritable moment d’introspection cinéphilique, où le spectateur s’interroge sur les qualités qu’ont bien voulu prêter certains cinéphiles à un tel navet.
Serait-ce simplement parce que le film est signé Michael Mann ?
Et si ce dernier n’avait jamais réalisé ses chefs d’œuvre des années 90 et 2000, cette Forteresse noire aurait-elle eu le même statut de film culte qu’elle a aujourd’hui ?
Ou s’agit-il là encore, comme avec Tarantino (Death Proof), de l’incapacité qu’ont certains admirateurs de distinguer le bon du mauvais dans une même filmographie ?
Au vu de toutes ses scories, The Keep semble répondre à cette troisième éventualité et explique à lui seul pourquoi son réalisateur n’a plus jamais osé revenir au genre du fantastique.

Pour une fois, toute tentative de remake à venir n’en sera donc forcément que meilleure.
A moins bien sûr qu’ils en confient la réalisation à Paul W.S. Anderson.

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