Depuis dix-sept ans déjà, Daniel Craig est James Bond. Ça n’a pas beaucoup enchanté les puristes avant Casino Royale en 2006, c’est pourtant devenu le Bond de toute une génération. Plus rugueux, plus teigneux, plus bourrin et un chouïa plus sensible que ses prédécesseurs, le personnage semble revenu à la brutalité froide du Bond de Timothy Dalton et s’est adapté au renouveau du cinéma d’action des années 2000 (les nerveux Jason Bourne, le reboot de la franchise Batman par Nolan) tout en profitant d’une refonte totale de la franchise pour se détacher (sans pour autant le renier) de son long passif cinématographique et de ses précédentes incarnations.

La réussite exceptionnelle de Casino Royale puis la semi-déception de Quantum of solace ne fit pourtant qu’entériner l’agaçante alternance de bons et de mauvais opus qui n’a cessé de jalonner la saga cinématographique depuis le James Bond 007 contre Dr No de 1962. A ce titre, Skyfall fut à mon sens, plus encore que Casino Royale, l’opus majeur (et salvateur) de toute l’ère Craig : celui qui réunissait à la fois la splendeur formelle, la qualité et l’innovation narrative (ce final brut à la Peckinpah…), la profondeur psychologique et la sobriété référentielle (les quelques clins d’œil aux anciens films étaient autrement plus subtils et mieux emmenés que ceux, grotesques, de Meurs un autre jour). C’est aussi là où l’on eut enfin droit à un méchant qui était autrement mieux développé que le sempiternel mégalomane psychotique auquel bon nombre d’opus de la franchise nous avaient habitués.

Puis il y eut la désillusion 007 Spectre et cette volonté affichée de vouloir rassembler les James Bond de Craig dans une continuité narrative, plus ou moins brodée à partir des ruines de Quantum of solace et du carton Skyfall. L’opus, pourtant toujours confié à Sam Mendes, semblait tomber sciemment dans tous les écueils évités par Skyfall : des scènes d’action abracadabrantes (le syndrôme Roger Moore), un méchant caricatural et, il faut bien le dire, sans grand charisme (malgré le talent certain de son interprète), une love story aussi crédible que celle du couple Trump et un ensemble de clichés bêtement régressifs. Contraints d’adapter ce dernier opus dans un tout cohérent, le réalisateur et ses scénaristes se perdaient à vouloir confronter Bond à la nouvelle incarnation de son plus célèbre ennemi (transformé ici en demi-frère, bêtement affligé du complexe du fils mal-aimé et jaloux) et à lui offrir une nouvelle romance étrangement peu crédible.

Sans surprise, le vingt-cinquième et dernier opus de la franchise, Mourir peut attendre, sorti fin 2021, fait tout pour se poser comme une conclusion à l’ère Craig. Et dès l’entame, le film casse les codes habituels de la saga en consacrant son introduction à l’enfance de Madeleine Swann (Léa Seydoux) et en poursuivant maladroitement par un séjour romantique, filmé parfois comme une télénovela (voir ces cadrages idylliques du couple Bond/Swann roulant sur la côte italienne). La première scène d’action se fait attendre et son surgissement tardif répond de toute évidence à un gros problème de rythme. Une longue ellipse de plusieurs années prétend ensuite nous rendre le Bond solitaire, cynique et désabusé que nous connaissions. Bond abandonne donc son matricule au profit d’une nouvelle recrue, perd son plus vieil ami (ah le passage obligé du pote qui fait promettre au héros de le venger…), croise une nymphette cubaine aussi belle qu’étonnamment drôle (Craig et De Ana de Armas s’étant déjà donné la réplique dans À couteaux tirés), retrouve son grand amour qui, ô divine exception à la règle bondienne contraceptive, lui réserve une ch’tite surprise, parlote deux minutes dans une cellule avec l’Hannibal Lecter du pauvre et finit, sans grande surprise, par courir après un vague macguffin (un fléau bactériologique) convoité par un grand méchant mégalo aux motivations confuses, mais (subtilité perverse) amoureux de la même femme que lui. De quoi essayer de complexifier inutilement la psychologie d’un bad guy finalement aussi profonde qu’un siphon de lavabo.

Tout comme dans Spectre, les balles évitent soigneusement Bond (la fusillade à Cuba est un modèle de tout ce qu’il ne faut pas faire quand on est envoyé au feu), ses poursuivants sont aussi bons tireurs que des stormtroopers, et les cascades sont si peu crédibles que même Vin Diesel n’en voudrait pas dans ses Fast and Furious. Le tout s’achemine lentement vers une confrontation finale expédiée et une conclusion faussement audacieuse tant elle est plus qu’attendue (après tout, Logan étant déjà passé par là, pourquoi pas Bond ?).
Bref, rien de follement trépidant dans ce vingt-cinquième opus, inutilement long, et qui clôt de manière mitigée un arc que l’on aurait voulu au diapason de Casino Royale et Skyfall.

Tout n’est cependant pas à jeter, loin de là. Cary Joji Fukunaga (Ça, True Detective) confère une identité visuelle propre à son film, et s’appuie pour beaucoup sur le remarquable travail de Daniel Sandgren sur la photographie tout en exploitant à merveille les différents cadres touristiques de son intrigue et les superbes décors rétros. Bien que vieillissant, Daniel Craig reste toujours crédible dans son rôle fétiche et lui confère même une dimension plus sensible que jamais. A ses côtés, Léa Seydoux fait toujours aussi bien la gueule et, face à lui, Rami Malek fait tout ce qu’il peut pour donner de la substance à un bad guy qui aurait mérité d’être mieux développé. Puis il y a le plaisir de retrouver Ralph Fiennes, Naomie Harris, Ben Wishaw, Rory Kinnear et Jeffrey Wright dans leurs rôles respectifs.


Pas un mauvais film donc mais un Bond en demi-teinte, un rien plus appréciable que Spectre mais plombé par un scénario qui aurait mérité d’être mieux travaillé. Mais bon, Bond reste Bond, et Daniel Craig a sur ses prédécesseurs l’avantage de pouvoir se targuer d’avoir su redéfinir le personnage en lui conférant une épaisseur intéressante et peut-être même salvatrice.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *