Grâce à ses effets de style inédits, sa SF multi-référentielle et ses images spectaculaires, le premier Matrix a su à son époque emporter l’adhésion de millions de spectateurs. L’attente de ses deux suites annoncées portait l’espoir d’une nouvelle trilogie de référence en matière de SF cinématographique. Pourtant l’enthousiasme fut de courte durée. A sa sortie, Matrix Reloaded divisa clairement les fans, certains y voyant une bonne continuité aux thématiques du premier  film quand les autres regrettèrent la différence qualitative entre les deux opus. En terme d’idées, de scructure narrative et de visuel, cette suite ne fonctionnait pas. Sorti six mois après Matrix Reloaded, le troisième opus, Matrix Revolutions, enfonça le dernier clou dans le cercueil, le film fut considéré comme une conclusion décevante et bon nombre de spectateurs s’en désintéressèrent, les geeks les plus masos préférant alors se tourner vers la suite de la prélogie de George Lucas tandis que la plupart des spectateurs optèrent pour les contrées lointaines du Seigneur des anneaux.

De toute évidence, le “to be continued” clôturant Matrix Reloaded avait déjà dégoûté pas mal de monde.

Mais Matrix Revolutions méritait il vraiment ce relatif désintérêt ?
L’histoire reprend là où les Wachowski l’avaient laissé. Tombé dans le coma, Neo se retrouve emprisonné dans un programme indépendant appartenant au Mérovingien. Tandis que dans le monde réel, les machines s’apprêtent à lancer leur offensive sur Zion et que les défenses humaines s’organisent, Trinity et Morpheus, aidés de Seraphin, font une descente musclée chez le Mérovingien pour contraindre celui-ci à libérer Neo. Ce dernier reçoit ensuite de l’Oracle une information capitale sur la clé de la fin de la guerre. Il doit aller à la rencontre des machines dans le monde réel pour parlementer. Neo et Trinity partent alors pour la cité des machines, portant avec eux le dernier espoir de la survie de la cité de Zion qui croûle désormais sous les attaques de sentinelles et se défend comme elle peut. Dans le même temps, Smith infecte toute la matrice, menaçant à la fois l’humanité et les machines.

Suite et fin donc de cette trilogie, avant le revival du titre 20 ans après. Matrix Revolutions apparait comme une sorte de conclusion logique et facile, organisée selon le schéma campbellien du Voyage du héros et résolvant ses enjeux par le prétexte de la traditionnelle union contre un ennemi commun. Le personnage de Smith s’impose ici non seulement comme la némésis de Neo (cela était déjà annoncé par l’Oracle dans le second film) mais aussi comme un prétexte idéal pour la résolution des enjeux. Résolution qui, il faut bien le dire, laisse franchement à désirer, le fait que les machines cessent aussitôt leur guerre contre la résistance humaine et libère les humains endormis qui le veulent implique qu’elle se prive du même coup de leur principale source d’énergie, ce qui n’est en soit pas logique. Les Wachowski se contenteront d’esquiver cette incohérence par un simple dialogue final entre l’Oracle et l’Architecte (“Tu tiendras parole, tu libéreras les humains ?“… “Bien sûr ! Pour qui me prends-tu ? Pour un humain ?“).

En terme de structure, c’est toujours aussi confus et bavard. Si on s’ennuie ferme pendant les premières minutes voyant la captivité de Neo, d’autant plus que les Wachowski semblent en profiter pour essayer de nous convertir à la philosophie bouddhiste, la tension monte enfin d’un cran lorsque Trinity, Morpheus et Seraphin se coltinent à eux-seuls et en mode bad-ass l’essentiel des sbires du Mérovingien. 
Plutôt expédiée, et trahissant les limites des effets de style du bullet time (qui devient ici franchement redondant), la scène reste aussi une des deux dernières grandes scènes d’action dans le monde la matrice. Et c’est bien là que les choses se corsent et qui explique peut-être le désintérêt relatif des fans de l’époque. Le restant du film se déroule ainsi principalemment dans le monde réel et se concentre beaucoup trop sur la bataille pour la survie de Zion. Une bataille qui semble ne jamais finir tant les hordes de sentinelles ne cessent d’affluer durant de longues minutes à l’écran sans que les Wachowski n’arrive à dynamiser l’ensemble autrement que par quelques clichés attendus (la mort héroïque de Mifune, la bravoure du jeune Kid…). Beaucoup, beaucoup trop longue, et donc lassante à regarder, la bataille retombe dans le principal écueil de plusieurs scènes du second film : le remplissage par le vide. Car il faut bien avouer que les Wachowski n’ont ici quasiment plus rien à raconter de bien folichon (emprisonnement artificiel de Neo pour combler, libération de Neo par ses amis, bataille de Zion, confrontation entre Neo et Smith dans la réalité, rencontre brève avec le deus ex machina, pugilat final de Neo et Smith). Les soeurs, autrefois frères, font ainsi durer du mieux qu’ils peuvent leur grande bataille laquelle aurait dû être le clou du spectacle (rappelons que dans les années 2000 bon nombre de trilogies : Matrix, Star Wars, X-Men, Lord of the rings et même The Dark Knight Rises, avaient pour point commun de résolver leurs enjeux au terme d’une grande bataille) mais qui n’est finalement qu’un long passage fastidieux à regarder. Les Wachowski en profite d’ailleurs à nouveau pour cligner de l’oeil au cinéma de james cameron, ses résistants humains évoquant ceux du futur de Terminator quand les méchas armés renvoient inévitablement au célèbre power loader d’Aliens (dans le second film, les agents au volant de grands camions noirs évoquaient furieusement le T-1000).
Pendant ce temps, Neo se coltine un Smith bien réel qui ne trouve rien de mieux à faire que de le transformer en Oedipe du futur. Puis Trinity et lui se voient épouser inévitablement la destinée de grandes figures romantiques et tragiques, leur mission finale se muant en sacrifice sans retour.
La rencontre avec la bien nommée deus ex machina, entité artificielle régissant la cité des machines, aurait pu être plus kubrickienne dans son approche mais les Wachowski préfère faire de leur machine en chef une entité ombrageuse et bornée, très loin du pragmatisme que devrait manifester théoriquement une super-intelligence.

Puis Neo s’en va une dernière fois confronter Smith dans la Matrice. Leur face à face urbain et nocturne sous une pluie torrentielle, cernés par des centaines de Smith observateurs, propose de loin l’image la plus marquante du film. Leur pugilat aux proportions apocalyptiques peut tout à la fois impressionner que décevoir. Impressionner parce que c’était bien la première fois que l’on voyait un combat en images live digne des bastons homériques de Dragon Ball sur grand écran. Décevoir parce que ça ressemble justement trop à Dragon Ball et que certains effets de ralentis s’avèrent toujours aussi ridicules. La résolution du combat, si elle répond à une réflexion logique des Wachowski (la victoire de Neo ne peut se faire qu’au prix de son sacrifice et de l’aura christique qu’il se doit d’assumer) est emmenée de façon fort originale par les derniers instants d’hésitation de Smith, tombant logiquement dans le piège.

Puis tout le monde se réconcilie, hommes et machines, les machines étant finalement plus fiables que les hommes, sous les couleurs vanille d’un lever de soleil commandé par un nouveau programme, incarnant par sa jeunesse, une nouvelle évolution des machines, plus humaine et plus juste.

Alors oui, le propos n’a rien de franchement original, empruntant toujours autant à Ghost in the shell, Blame, Tron et Philip K. Dick. Les péripéties du film, essentiellement cantonnés dans le monde réel, s’éloignent des morceaux de bravoure que constituaient les fusillades et les courses-poursuites des deux premiers films. Et c’est essentiellement pour ça que Matrix Revolutions a déçu bon nombre de fans, sa propension au bavardage, au remplissage inutile et ce combat très dragonballien (j’invente un mot, et alors ?) finissant par perdre même l’adhésion de ses derniers fans. D’autant plus que les Wachowski semblent se contenter d’une fin qui n’en est pas une, la résolution des enjeux ne reposant que sur des bases fragiles (la paix entre les hommes et les machines durera combien de temps ? Et comment vont faire les machines pour subsister si elles relâchent les humains ?) propre à poser plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.

Pourtant, et très bizarrement, je me souviens avoir à l’époque plus apprécié ce troisième opus que le second. La déception de Matrix Reloaded étant passée, je ne gardais plus autant d’attentes vis à vis de ce troisième film et, si la bataille centrale de Zion est particulièrement ennuyeuse à regarder, certains de ses passages (l’intervention de Seraphin pour aider à libérer Neo, Smith envahissant toujours plus le monde, Neo et Trinity menant leur dernier voyage dans le monde réel et même les propensions dantesques du combat final) suffisaient à mon sens à égaler le seul intérêt et grand morceau de bravoure du second film (la scène de l’autoroute). 

Enfin de compte, ces deux suites, aussi décevantes soient-elles, se valent. Les revoir aujourd’hui confirme mon ressenti de l’époque. Le premier Matrix portait clairement de nouvelles idées et une esthétique unique en son genre. Il aurait pu donner lieu à une grande saga si ses suites avaient été clairement mieux pensées. En l’état, les Wachowski ne font que reproduire la même bourde que George Lucas sur sa prélogie : coller au plus près à la théorie du Voyage du héros définie par le théoricien Joseph Campbell en proposant un cheminement assez prévisible pour son personnage principal (le début d’un périple, la découverte d’un monde plus vaste, un mentor l’y guidant, la descente dans le ventre d’un monstre/caverne (Star Wars, Aladdin) /prison (The Dark Knight Rises)/métro (Matrix Revolutions), le retour du héros, la réalisation de sa destinée).

Malgré toutes les variations apportées par les Wachowski à ce schéma préétabli, la structure campbellienne reste toujours aussi évidente et enferme l’histoire de Matrix dans une perspective prévisible.
Salué(e)s à l’époque comme des génies visionnaires, les Wachowski n’étaient en fait, comme leur trilogie, que la somme d’une multitude d’influences. Ce qu’est bien sûr chaque auteur qui se respecte, le talent consistant surtout à savoir appréhender et analyser ses influences pour mieux s’en affranchir.

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