On ne présente plus Brian Azzarello, scénariste star de chez DC Vertigo dont les intrigues sordides et les dialogues incisifs en ont fait un des auteurs les plus populaires du monde des comics. Est-il également besoin de revenir sur le talent d’Eduardo Risso, dessinateur argentin au style si singulier ? Le duo reste surtout connu pour leur série criminelle au long cours 100 bullets, grand carton de l’industrie des comics des années 2000 et véritable ticket d’entrée pour ses auteurs vers les cimes les plus sordides et verti(go)gineuses du DCUniverse.

Sans faire d’entorse à leurs habitudes, les deux compères ont donc aussi collaboré plusieurs fois de 2000 à 2011 pour livrer leur propre vision de l’univers du Chevalier Noir. Paru en 2017 chez Urban, Batman Cité brisée et autres histoires rassemble l’intégralité de ce travail. Des intrigues assez variées mais qui ont toutes pour particularité de verser dans le sordide, ambiance très noire et urbaine à l’appui. Fidèle à ses habitudes, Azzarello nous plonge dans des bas-fonds urbains crasseux et réemploie les archétypes du film noir (mafieux, tueurs et femmes fatales) non sans convoquer quelques-uns des habituels adversaires du Caped Crusader, des plus célèbres (Killer Croc, le Pingouin et un Joker au look très Heath Ledger) aux plus rares (Victor Zsasz, le Ventriloque et Scarface trouvent ici une place de choix).

Si d’un point de vue graphique, dans son simple noir et blanc, la première histoire, Cicatrices, renvoie au travail de Frank Miller sur Sin City (Eduardo Risso s’en est aussi beaucoup inspiré pour son comic cyberpunk Point de rupture), la seconde histoire, qui donne son titre au recueil, s’apprécie encore mieux comme un bel hommage au travail de Miller tant elle lorgne graphiquement sur Sin City et s’inspire pour beaucoup du Batman de The Dark Knight Returns. Divisée en six longs chapitres, Cité brisée nous présente en effet un justicier plus sombre et brutal que jamais, confronté aux réminiscences de son trauma originel lorsqu’il tombe sur un couple de parents assassinés dans une ruelle. On appréciera aussi l’intrigue en douze mini-chapitres Haute pègre, un véritable exercice de style où chaque planche avait été initialement publiée de façon hebdomadaire, obligeant les auteurs à une économie de mots et de cases pour raconter cette très courte histoire de manipulation et de faux-semblants. Mais en terme d’originalité, c’est surtout Batman Chevalier vengeur qui se distingue. Avec cette dernière intrigue prenant pour prétexte les événements de la saga Flashpoint, Azzarello et Risso nous offrent une intéressante variation sur la dualité Batman/Joker dans un monde où ce n’est pas le jeune Bruce Wayne qui a survécu au meurtre de ses parents mais l’inverse. L’occasion de remodeler intelligemment la mythologie du Batverse et de déstabiliser le lecteur par une transgression audacieuse de l’identité des personnages.

D’un point de vue artistique, Eduardo Risso reste fidèle à lui-même. Le trait épais, le style épuré et l’encrage lourd, l’auteur joue à merveille des ombres qui cernent les personnages et, à l’image d’un certain Tim Sale en son temps, transforme la cité de Gotham en métropole obscure et hors du temps, peuplée de vamps, de gangsters et de monstres. L’arc Batman Chevalier vengeur, en particulier, évoque pour beaucoup les planches expressionnistes d’Un long Halloween et Amère victoire.
Une véritable capitale du vice et du péché où se distingue donc aussi l’influence de Frank Miller, Gotham n’ayant jamais eu son pareil pour faire de l’ombre à sa grande concurrente Sin City.

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