Parmi les meilleurs ouvrages de Stephen King, Danse Macabre et Salem tiennent une place particulière dans ma mémoire de lecteur. L’un se lit rapidement comme un formidable recueil de nouvelles (le premier de son auteur) bourrée de petits bijoux de la fiction courte horrifique (Petits soldats, Poids lourds, Les Enfants du maïs, Le printemps des baies, Desintox inc.), l’autre se dévore comme un fantastique pageturner de 400 pages revisitant le mythe du vampire. Le point commun entre ses deux ouvrages, la novella intitulée Jerusalem’s lot (Celui qui garde le ver en français) qui ouvre le recueil Danse Macabre et se retrouve en appendice dans certaines éditions passées de Salem. Car les deux histoires sont connectées (comme bon nombre des histoires de King), Celui qui garde le ver se présentant comme une sorte de préquelle à Salem dans la mesure où elle en partage la même localisation. Les deux intrigues ont en effet pour point commun de se dérouler dans les environs de la ville fictive de Jerusalem’s lot mais à un siècle d’intervalle, la longue nouvelle nous présentant le récit d’un propriétaire terrien aux environs de 1850 quand l’intrigue de Salem s’inscrit dans les années 1970. Ce sera là, la seule connexion évidente entre ces deux histoires qui seront en outre surtout liées par l’idée que le Mal s’est fixé dans la ville de Jerusalem’s lot. En tant que second roman publié de son auteur, Salem peut s’apprécier comme une relecture modernisée du Dracula de Bram Stoker, King se plaisant à transposer le mythe du vampire dans la tranquille torpeur d’une petite bourgade sans histoire du Maine. Celui qui garde le ver en revanche se lit et s’apprécie comme un hommage évident à Lovecraft, l’essentiel du récit nous étant narré sous une forme épistolaire par un narrateur/référent s’enfonçant progressivement dans l’angoisse et la folie à mesure qu’il découvre que ses aïeux sont liés à un culte chtonien clignant ouvertement de l’oeil au mythe de Cthulhu. Pas traces de vampires dans cette histoire mais quelques morts-vivants en décomposition et une forte propension à interroger la religion chrétienne face au pouvoir d’une entité a priori antérieure au Dieu chrétien. Car là où Lovecraft se refusait le plus souvent à toute allusion à la religion chrétienne, King lui, en fait bien souvent le fondement de ses histoires.

Bref, Celui qui garde le ver était son meilleur hommage au Maître de Providence (d’autres nouvelles lovecraftiennes de King suivirent : Crouch End, N…) et se déroulait dans la même ville fictive où, plus d’un siècle plus tard, débarquaient les fameux vampires de Salem. Pour finir, une troisième histoire se posait en guise de conclusion funèbre, la nouvelle Un dernier pour la route concluant presque le recueil Danse Macabre, un petit survival nocturne et angoissant qui nous faisait état de l’abandon pur et simple de la ville de Salem après les événements du roman, alors que s’y trouvaient encore quelques spécimens de créatures de la nuit.

Le roman Salem fut adapté par trois fois pour le petit écran. La première fois en 1979 par Tobe Hooper dans le célèbre téléfilm en deux parties Les vampires de Salem, la seconde en 1987 dans Les Enfants de Salem, une suite originale au film d’Hooper, et la troisième en 2004 dans une mini-série sobrement intitulée Salem.
Il aura fallu attendre 2021 pour qu’enfin soit adaptée à la télévision la nouvelle Celui qui garde le ver, sous la forme d’une mini-série intitulée Chapelwaite, 1ère série produite par Epix et diffusée sur Prime Video.
Porté par Adrien Brody, parfait dans le rôle du tourmenté Charles Boone, ces dix épisodes tendent à retranscrire à l’écran la noirceur de la nouvelle originale sans pour autant lui être tout à fait fidèle.
Et c’est bien là que la série divisera tout autant les connaisseurs de l’oeuvre de King que ceux qui découvriront cette histoire. Car la série emprunte au postulat de la nouvelle originale pour mieux en trahir l’histoire et partir dans une toute autre direction. De toute façon, il faut bien avouer que la nouvelle aurait été difficilement adaptable en une mini-série de dix épisodes tant l’essentiel de son intrigue était racontée à travers la correspondance de Charles Boone, un individu solitaire et endeuillé, héritant de la demeure d’un lointain cousin et plongeant progressivement dans l’angoisse et la folie à mesure qu’il découvrait que sa famille était depuis longtemps liée à un culte séculaire dédié à une déité aussi malveillante qu’antédiluvienne. Lovecraftien donc…

Impossible pour les scénaristes de Chapelwaite d’adapter la nouvelle de King sans avoir besoin de créer de nouveaux personnages pour développer plus de péripéties et d’enjeux. Charles Boone n’est donc plus seulement veuf mais aussi père de trois enfants. Il s’installe avec eux dans le manoir familial que lui a légué son défunt cousin. A cette cellule familiale endeuillée vient bientôt s’ajouter la caution sentimentale de l’intrigue via l’intégration du personnage de Rebecca, la gouvernante, absente elle aussi du récit original. D’autres protagonistes alimenteront l’intrigue en révélant progressivement le climat d’hostilité qui règne dans le petit village de Preacher’s corner vis à vis de la famille Boone. L’ambiance, sinistre et oppressante à souhait pour ce genre d’histoire, est une des qualités de la série qui bénéficie en outre de premiers épisodes d’exposition suffisamment mystérieux pour tenir le spectateur en haleine.

Las, ce qui s’annonçait particulièrement plaisant pour un amateur d’intrigues fantastiques finit très vite par révéler un manque flagrant d’imagination. Bourrée de clichés, d’événements prévisibles et de personnages stéréotypés (ils sont à peu près tous là : l’homme de loi intègre, le pasteur en perte de foi, l’épouse trompée, le vieux notable superstitieux et hostile, les brutes du village à sa solde et le gentil esclave), la série perd progressivement de son intérêt à mesure qu’elle s’enlise dans une sempiternelle histoire de vampires.
Oui… De vampires. Incapables de développer l’intrigue de la nouvelle sur le seul modèle et hommage à Lovecraft, les scénaristes ont décidé de mixer son histoire (où apparaissaient donc quelques mort-vivants) en y intégrant les fameux suceurs de sang hérités du roman Salem. L’idée pourrait tout autant passer pour une énorme facilité que comme une intéressante tentative de raccrocher les wagons entre la nouvelle et le roman. Un siècle avant l’arrivée de Barlow et Straker, les vampires étaient déjà présents à Salem. Pourquoi ne pas imaginer par exemple que Barlow était lui aussi attiré par le De Vermiis Mysteriis, ce livre ancien, hommage évident au Necronomicon de Lovecraft, mais inventé par l’écrivain Robert Bloch pour son recueil lovecraftien Les Mystères du ver.

Le problème c’est que la série n’apportera pas grand chose de neuf aux sempiternelles intrigues de nosferatus. Au fil des épisodes, Chapelwaite se vautre même dans une succession de péripéties et de situations déjà vues ailleurs et en mieux (vampirisation d’un proche à la Dracula et Salem, visite dans un asile sordide façon… Dracula, assaut des vampires sur une maison barricadée façon Nuit des mort-vivants, confrontation finale avec la secte et son chef…). Pis, dans ses derniers épisodes, la série trahit une fâcheuse tendance à alterner phase explicative (bonjour les tunnels de dialogues qui durent tout un épisode) et séquences d’action décevantes (l’assaut final sur Jerusalem’s lot et la confrontation avec Jakub frisent le gros foutage de gueule). D’autant plus que les scénaristes semblent ne pas savoir que faire de certains de leurs personnages (Abel n’est qu’un ressort scénaristique censé jouer les messagers entre d’autres personnages et il est souvent facilement évacué du récit, le père de Rebecca apparait tardivement et n’apporte que peu d’enjeux émotionnels, et le bébé difforme de Faith est purement et simplement dégagé du scénario sans qu’on sache ce qu’il advient de lui).

On en retiendra finalement que quelques scènes réussies : certaines hallucinations de Boone sont particulièrement dérangeantes et bien emmenées, la scène où une vampire est jetée en pature aux rayons du soleil fait son petit effet, mais surtout, la conclusion de la série, aussi funèbre qu’étrange, suffirait presque à elle seule à gommer toutes les scories scénaristiques qui l’ont précédé.

Chapelwaite bénéficie en outre d’une direction artistique et d’une photographie soignées qui retranscrivent à merveille une atmosphère d’époque morne et dépressive. C’est bien simple, dans son ambiance aussi délétère que funèbre, la série évoque parfois les passages les plus glauques des jeux Amnesia : The Dark Descent et Layers of fear. Une dimension fantastique propre à envouter n’importe quel amoureux du genre. Il est juste un peu dommage que de banals vampires aient trouvé le moyen de s’y inviter.

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