Un rien orgueilleux, idéaliste, et probablement aussi un peu con, le jeune psychiatre Ben Arnell, fraichement débarqué au sein du personnel soignant d’Arkham, se met en tête de soigner le plus dangereux patient de l’établissement : le Joker. En effet, il reste convaincu qu’il est possible de comprendre et même de guérir le clown grâce à une bonne psychothérapie. Mais le médecin va très vite réaliser son erreur à mesure que ses séances avec son patient l’emmèneront au seuil de la folie.

Le scénariste Jeff Lemire s’associe ici une nouvelle fois avec l’illustrateur italien Andrea Sorrentino, son collaborateur sur la série de comics Gideon’s Falls, et nous offre donc ce postulat alléchant qui a surtout pour intérêt de proposer une nouvelle approche du plus célèbre adversaire de Batman. Bien sûr, vouloir soigner le Joker équivaut à se lancer dans une psychanalyse d’Hannibal Lecter, et on se doute bien de ce qu’il adviendra du bon psy assez fou pour se croire capable de guérir le célèbre clown. La folie du Joker nous est ici présentée comme un virus terriblement contagieux et le simple dialogue entre le malade et son thérapeute brouillera rapidement les repères sur la folie déclarée de l’un et celle, naissante, de l’autre.

Le postulat de Killer Smile n’a en soit rien de particulièrement original et s’inspire pour beaucoup des classiques Asile d’Arkham et The Killing Joke, et des films The Dark Knight (le sourire de l’ange évoque ici le faciès de Ledger), Seven et Le Silence des agneaux, dans son approche psychologique de la némésis chérie de Batman et sa propension à manipuler facilement les consciences du fond de sa geôle. Moins connue sera la référence à la nouvelle Petits jeux de Thomas Ligotti, auquel Jeff Lemire emprunte ici l’idée de la confrontation entre un psychiatre et un monstre psychopathe incarcéré, hantant le praticien jusqu’à son foyer. Outre cette série d’influences, le véritable intérêt de l’intrigue de Killer Smile se situe surtout dans son approche perturbante de la folie et de sa contagion sur le quotidien tranquille d’un brave psy sans histoires. La plongée progressive de Ben Arnell dans le fantasme morbide du Joker se fait par touches subtiles et ellipses déstabilisantes, le protagoniste perdant peu à peu ses repères dans la réalité jusqu’à s’aventurer littéralement dans le “monde des fous”.
Avec une certaine malice, Lemire s’amuse à juxtaposer à son intrigue le récit d’une fable pour enfants (les aventures de Monsieur Sourire) qui ne fera que renforcer la dimension fort dérangeante de cette histoire. On regrettera juste l’intégration de Batman en dernière partie d’intrigue, la présence du justicier se faisant au détriment de l’évolution de Ben Arnell et s’acheminera sans surprise vers une conclusion attendue (servant presque de prologue au comics Last Knight on Earth).

Les illustrations d’Andrea Sorrentino servent à merveille le propos du scénariste et restent dans la veine de son travail sur Gideon’s Falls. Avec un style précis et photo-réaliste, le dessinateur mélange ici la froideur d’environnement moderne et dépressif à la noirceur d’un univers cauchemardesque, pas très loin de ce que nous avait déjà offert Brian Haberlin sur Les Chroniques de Spawn. Un travail qui a de quoi se distinguer des différentes approches graphiques de l’univers du Chevalier Noir et qui participe pour beaucoup à la réussite de ce one shot perturbant et démystificateur.

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