Ce qui suit contient quelques spoilers sur le scénario des comics The Boys.

A l’heure où l’on ne jure plus que par la série, cela fait plaisir de retrouver une dernière fois toute l’équipe de Butcher dans cet ultime volume de la saga super-anti-héroïque de Garth Ennis. Un volume qui se présente tout autant comme une suite que comme une préquelle aux événements du comic initial et qui nous permet de découvrir un Hughie Campbell au visage un peu plus ridé. Dix ans se sont écoulés depuis sa confrontation avec Butcher, l’anéantissement du Protecteur et la mise à mort du violeur de Becky sur la pelouse de la Maison Blanche. Le plan génocidaire de Butcher a échoué mais a quand même porté un coup définitif aux agissements de Vought et à l’image des super-héros à travers le monde. Les derniers “super-slips” restants ne sont plus que des guignols de troisième zone qui font désormais profils bas et évitent d’attirer l’attention des gouvernements en ne s’autorisant plus les excès du passé. Hughie vit toujours en couple avec Annie et tous deux se sont installés dans son pays natal, l’Ecosse. Mais alors qu’Annie lui reproche quelque peu de ne pas grandir et de ne pas s’engager plus loin dans leur relation, Hughie reçoit un étrange courrier à son nom. A l’intérieur il trouve un cahier qu’il découvre avec horreur être le journal de Billy Butcher. Terrifié à l’idée de renouer avec son passé, Hughie ne peut résister à l’envie d’en savoir plus et lit ainsi son contenu. Un long monologue dans lequel Butcher s’adresse à sa défunte femme Becky, se remémore leurs moments heureux, raconte comment elle avait réussi à le “changer”… et lui confie que sans elle, le monde n’a plus qu’à bruler.

Le succès de la série a donc poussé Garth Ennis a reprendre sa plume, accompagné cette fois d’un autre artiste au dessin, le talentueux Russ Braun. Préfacé par Eric Kripke (le showrunner de la série) qui en profite pour rendre hommage à son idole Ennis, Dear Becky est un opus inattendu qui fait en réalité plus figure d’appendice à l’histoire des Boys que de véritable épilogue. On y retrouve tout l’esprit des comics d’origine, les situations farfelues, les bonnes vannes de Butcher et la violence décomplexée, parfois choquante, qui faisaient toute la force des comics d’origine. Il n’y a qu’à voir cette première scène sanglante du volume, où les Boys tabassent un gamin dans des toilettes publiques et lui coupent la langue (pour l’empêcher d’invoquer son alter-égo), pour se dire qu’Ennis n’a jamais peur de choquer et garde toujours ce gout de la subversion qui lui a valu le succès de ses oeuvres. Ennis, qui n’a jamais caché son mépris pour les comics de super-héros, s’en donne ainsi à nouveau à coeur joie avec plusieurs parodies de superhéros DC et Marvel qu’il malmène et ridiculise aussi cruellement que possible, Shazam (Chacham !) et Thor trouvant ici une place de choix dans les manigances de Butcher.

C’est aussi pour l’auteur l’occasion de nous faire retrouver un p’tit Hughie plus assagi et mature, mais aussi toujours marqué par son expérience avec les Boys. Son couple avec Annie a évolué et révèle les failles bégnines d’une vie conjugale ternie par les petits aléas, les disputes et les contrariétés du quotidien. Mais Hughie nous sert surtout ici de référent pour redécouvrir le personnage de Butcher et mieux cerner, à travers la lecture de son journal, la psychologie de ce dernier. Garth Ennis dresse ainsi un parallèle judicieux entre le couple que forme Hughie et Annie et celui que formait Billy et Becky et révèle la force que chacun des deux hommes a pu tirer de la présence de leur compagne à leur côté et qui leur a permis de ne pas se perdre grâce à leur amour (ce qui est en vérité la raison d’être de chaque couple). La mort de Becky sonna ainsi le glas de tous les efforts de Butcher pour se sociabiliser et oublier ses démons. Elle résonna pour lui comme la permission de redevenir le psychopathe ivre de violence qu’il estime avoir toujours été. Un personnage en colère qui ne s’autorisa qu’une seule faiblesse : la recherche d’un équivalent de “petit frère” pour le raisonner. Face aux révélations contenues par le journal de Butcher vient alors se poser une autre question pour Hughie, plus inquiétante encore que les confessions écrites de son ancien mentor : qui a bien pu retrouver ce journal et dans quel but le lui a-t-on envoyé ?

Côté illustrations, Russ Braun fait du très bon boulot. Son style reste assez proche de celui de Darrick Robertson pour ne pas briser la continuité graphique des deux oeuvres. On regrettera cependant la mise en page toujours plus inventive de Robertson, sa façon de toujours attirer l’oeil par des illustrations judicieusement positionnées et qui se passaient parfois de tout dialogue pour sonner juste. Il faut dire que, loin de privilégier l’action, Dear Becky reste un opus explicatif, essentiellement bavard (plus encore que les comics d’origine) et très loin des débordements graphiques qui ponctuaient régulièrement les comics originaux. Pas trop de gore ni de sexe débridé ici, juste le plaisir de retrouver quelques personnages qu’on a appris à aimer et, à travers eux, la verve inimitable d’un auteur tout aussi cruel dans ses mises à mort qu’il reste pertinent quand il s’agit de jeter un regard sensible et réaliste sur la nature humaine. Un bon petit moment de lecture à destination des premiers fans et lecteurs de The Boys.

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