Nic Sax est une épave. Un ancien flic alcoolique devenu sdf, reconverti en tueur à gages des bas-fonds de New York. Véritable expert en nettoyage, il préfère désormais jouer de la pétoire et semer les morts dans les rangs de la pègre locale. Sauf qu’il a beau avoir le cuir plus dur qu’un John McClane et faire passer le punisher pour un enfant de choeur, Nic Sax n’est pas invulnérable et voilà qu’il se retrouve bientôt à pisser tout son sang sur le brancard d’une ambulance lancée à toute berzingue dans les rues enneigées d’une Grosse Pomme en période de fêtes. Un court coma puis c’est le craquage au réveil : il pense avoir grillé un fusible de trop quand il voit une petite licorne bleue voleter au-dessus de lui et lui causer comme à un vieux pote. La bestiole dit s’appeller Happy et lui explique être l’ami imaginaire d’une fillette kidnappée par un dégénéré, sorte de proche cousin de leatherface déguisé en père Noël. Découvrant que la gamine en question est peut-être sa fille, Sax se lance alors à sa recherche, épaulé par son improbable sidekick. Les psychopathes de New York n’ont qu’à bien se tenir.

Bon le secret est depuis longtemps éventé, Happy est une adaptation télé complètement barrée d’un comic tout aussi déglingué du duo Grant Morrison (Batman) et Darick Robertson (The Boys). Produite sur deux saisons (de 2017 à 2019) par les deux auteurs pour la chaine Syfy, elle permet à Christopher Meloni de casser pour de bon son image un peu trop proprette de flic idéaliste de la série Law and Order : Special Victims Unit (New York Unité spéciale en vf) en enfilant les oripeaux d’un anti-héros des plus abjects. En effet, l’acteur incarne ici ce qui reste probablement comme la pire loque humaine de la fiction télévisuelle : une espèce de clochard exterminateur au regard fou, adepte des cuites matinales et des massacres sanglants en mode vigilante. Le voir partager l’affiche avec une licorne de dessin animé avait tout du projet casse-gueule pour l’acteur, de quoi détruire pour longtemps son image et sa crédibilité dans le métier. D’autant plus qu’il s’en donne ici à coeur joie et semble n’avoir jamais peur du ridicule tant il mélange à merveille la bad-assitude craignos aux grimaces les plus débiles.

Bien sûr, l’idée du buddy movie moitié toon, moitié ouf, n’avait rien de nouveau depuis Roger Rabbit, et bon nombre de productions ont déjà exploité ce concept. Qui plus est, pas mal de séries récentes surfent sur la mode deadpoolienne de l’humour/gore cradingue aux anti-héros tous plus violents les uns que les autres. On aurait pourtant tort de croire que Happy suit de quelconques sentiers balisés tant elle pousse la dérision plus loin encore que ce qui a déjà été fait. Peuplée de personnages tous azimuts, la série ne se pose visiblement aucune limite : on n’a jamais vu une telle réunion de grands tarés dans un show de seulement 18 épisodes, entre un anti-héros qui commet un massacre toutes les dix minutes, un grand méchant caïd (Blue) au look de papa poule, un colosse increvable déguisé en père noël et surtout l’ignoble Stinky, le larbin masochiste, sorte de Joker châtré, étrangement amoureux de son adversaire. Cet alignement d’aliénés est bien sûr prétexte à des scènes toutes plus dingues les unes que les autres : de l’apparition de Happy sous les yeux d’un Nic agonisant à la discussion finale de la petite licorne avec dieu, en passant bien sûr par cette explosion de nonnes en pleine rue, cette séquence folle où le “héros” massacre les vieux nazis d’une maison de retraite, le sadisme d’un enfant psychopathe et de son ami imaginaire, cette parodie de Michael Jackson se travestissant en insecte géant dans des orgies ultra-glauques et les apparitions d’un parrain du crime possédé par le diable à mi-série, tout dans Happy semble suggérer que les scénarii de chaque épisode ont été confiés au pensionnaires les plus dissipés de l’asile d’Arkham.

En nous offrant cette buddy story à la croisée des genres et de tous les délires, Happy décroche sans problème la palme de la série la plus gratinée. Bourrée d’idées audacieuses, de mauvais goût assumé, de gore qui tâche et d’un fond de critique sociale, elle ne ressemble probablement à aucune autre et ferait même passer The Boys et Ash vs Evil Dead pour de gentils programmes Gulli de fin d’après-midi. C’est d’ailleurs bien là le principal reproche qu’on pourra faire à ce show, il est tellement délirant qu’il laissera bon nombre de spectateurs sur le carreau en à peine deux épisodes. C’est bien pour ça que Happy ne s’adresse surtout qu’à ceux qui cherchent la déglingue, les bouffeurs de fictions décalées à la connerie hypersensible. Le genre d’énergumènes capables de se marrer en voyant un simili-punisher se faire joyeusement sodomiser par sa némésis sur l’air ô combien kubrickien d’Ainsi parlait Zarathoustra.

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