La sortie de Jaws 3D en 1983 et sa formidable gamelle au box-office aurait dû convaincre n’importe quel producteur un tant soit peu raisonnable d’arrêter les frais et de comprendre qu’un requin en plastoque sans Spielberg pour le filmer n’a plus rien de crédible. Le troisième opus avait beau être incroyablement nul, il restait assez marrant par moments. Il y avait ces plans 3D incroyablement moches et qui ne servaient absolument à rien dans l’histoire, ce requin énorme qui avançait à l’allure d’un escargot neurasténique et hurlait de rage dès qu’il voyait un humain lui échapper, Manimal qui roulait des mécaniques et se faisait mâchouiller par Bruce, et puis surtout cette intrigue famélique dont Colin Trevorrow s’inspira trente ans plus tard pour écrire et réaliser son Jurassic World. Bref, Jaws 3D était un navet de compétition, si raté qu’il est presque impossible encore aujourd’hui de pouvoir lui trouver la moindre qualité.

Cela n’empêcha pas pour autant certains producteurs de croire qu’il y avait encore de l’espoir. A la fin des années 80, le patron de la Universal Sid Sheinberg décidait, contre toute attente, de mettre en chantier la production d’un quatrième opus et commandait un scénario en imposant deux conditions : le film devrait se dérouler aux Bahamas et aurait pour principale protagoniste, Ellen Brody, l’épouse de Martin Brody. Un rôle qui échoie bien entendu à l’actrice Lorraine Gary laquelle incarnait déjà le personnage dans les deux premiers films. Une actrice sans grand charisme et à la filmographie famélique mais qui était alors surtout… l’épouse de Sidney Sheinberg. Les Dents de la mer 4 fut alors essentiellement produit par népotisme et offrit à Lorraine Gary le haut de l’affiche. Le bide monumental du film au box-office mettra un terme à l’ambition de l’actrice et à sa remarquable carrière.

Car ce 4ème Jaws réussit l’exploit de dépasser en nullité le précédent opus. Son scénario est d’un vide abyssal et justifie son intrigue par un vague prétexte fantastique (ce 4ème requin semble s’en prendre aux Brody pour venger ses prédécesseurs). En parfait tâcheron délégué à la réalisation, Joseph Sargeant fait tout ce qu’il ne faut pas faire et choisit, contre toute logique, de faire l’inverse de ce qu’avait fait Spielberg : cadrer le plus possible le requin dans des plans tellement longs qu’ils permettent au spectateur de constater qu’il s’agit bien d’un animatronique recouvert de caoutchouc. On n’aura même pas besoin d’être trop attentif pour remarquer les jointures du revêtement sur l’aileron du requin. Ni même d’ouvrir grand les yeux pour remarquer ce plan formidablement raté où il est possible de voir les rails qui soutiennent les mouvements du monstre (en bas à gauche dans le plan sous-marin où le requin défonce la coque de l’épave). C’est un peu comme si le réalisateur et les producteurs nous hurlaient à la gueule qu’ils n’en ont absolument rien à foutre de la suspension de crédibilité du spectateur. Ajoutez à ça une foule d’incohérences relevant du jamais vu : la géniale idée du requin qui hurle son mécontentement (ces plans magnifiques où on le voit sortir de l’eau en rugissant comme un ours), la survie miraculeuse de Mario Van Peebles à la fin du film (pourtant bouffé en gros plan par le requin cinq minutes plus tôt mais sauvé par les producteurs qui voulaient un happy end), l’explosion étrange du monstre quand il s’empale sur la proue du voilier (???), les moments où Ellen se souvient de son défunt mari quand il tuait le requin du premier film (alors qu’elle n’était pas là pour pouvoir s’en souvenir) et surtout… surtout… le jeu totalement démissionnaire de Michael Caine. Conscient de l’indigence du film qu’il tourne, l’acteur anglais ne s’embête pas à faire le moindre effort et semble à deux doigts de compter ses billets à l’écran. Lorsque le requin l’attaque au pied de son bi-plane, il a l’air de s’en foutre et quand son personnage tombe à la flotte, il en ressort deux minutes plus tard, le sourire presque aux lèvres et la chemise visiblement sèche.

En définitive, c’est encore Caine qui résume le mieux l’aura nullissime de ce quatrième opus en avouant avoir accepté d’y jouer uniquement pour une semaine de tournage aux Bahamas, payé 1,5 millions de dollars et qui lui permettait d’emmener sa famille en vacances. Le porte-feuille blindé de thunes et la chemise bien repassé, il déclarera quelques années après la sortie du film : “Je n’ai jamais vu le film, mais de toute évidence c’était terrible. Cependant, j’aime la maison qu’il m’a permis d’acheter. Rien que ça c’est formidable“. Sacré Mike.

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