Ceux qui ont déjà lu quelques oeuvres, romans et nouvelles de Richard Matheson savent à quel point cet auteur ne manque pas d’idées géniales pour imaginer des intrigues fortes et angoissantes. Preuve en est, parmi tant d’autres, le roman Je suis une légende et la superbe nouvelle Duel, portée à l’écran par Spielberg pour lequel Matheson aura d’ailleurs écrit le scénario. C’est alors très étonnant de trouver le nom de l’écrivain crédité au scénario de Jaws 3D, seconde suite des Dents de la mer, principalement connue aujourd’hui pour être une des plus grosses déjections hollywoodiennes des 80’s. Quand on l’interrogeait alors sur son implication dans l’écriture de cette m…, Matheson répondait le plus sincèrement du monde qu’il avait été contacté à l’époque pour écrire un premier traitement à cette suite. Pour des raisons inconnues, les producteurs ne validèrent jamais le script de l’écrivain-scénariste mais n’en gardèrent que le contexte de l’intrigue : un parc d’attraction sous-marin. Ce fut à nouveau le scénariste des deux premiers films, Carl Gottlieb, qui fut chargé d’écrire le script final de ce troisième opus en prenant garde cette fois à contenter les exigences ridicules des décisionnaires de la Universal. Ceux-ci pensèrent ainsi tout d’abord Jaws 3 comme une parodie du premier film avant de changer leur fusil d’épaule et d’opter pour une véritable suite aux aventures des Brody. A la différence que, condition sine qua non, Jaws 3 devait sortir en relief et donc voir chacune de ses scènes avec le requin être tournées en 3D stéréoscopique.

Problème : la 3D de l’époque était alors une technologie balbutiante et particulièrement moche à l’écran et on était à l’aube des années 80, soit près de trente ans avant Avatar. L’idée d’un squale géant bouffant les gens en relief a dû certainement enthousiasmer les exécutifs de la Universal à l’époque, sans que ceux-ci ne doutent le moins du monde de la fiabilité du projet. Mais la 3D de l’époque tenait plus d’un artifice que d’une technologie crédible. Certains producteurs croyaient que les films en relief attireraient plus les foules (rien que sur la seule année 1983, on compte ainsi au moins 4 films sortis en salle en 3D : Jaws 3D donc, Amityville 3Parasite de Charles Band et même un film érotique Emmanuelle 3). Après avoir vu la réalisation du second film lui passer sous le nez, Joe Alves, ancien directeur de seconde équipe sur Jaws et sa suite, héritait ici enfin de la réalisation de ce 3ème opus et acceptait sans sourciller de relever le défi de la 3D. Dès lors, est-il étonnant que Les Dents de la mer 3 soit son premier et son dernier film en tant que réalisateur ?
A la musique, John Williams se porte pâle et passe la baguette au musicien rock Alan Parker pour un score tout à fait oubliable qui recyclera quelques notes du célèbre thème du film original. Trop content d’être libéré de son contrat avec la Universal, Roy Scheider décline l’offre qui lui est faite de reprendre son rôle de Martin Brody et, conscient du potentiel catastrophique du projet, envoie gentiment le studio se faire voir. Tant pis, Jaws 3D prendra pour héros le fils ainé Brody et sa compagne, tous deux employés de Marineland, un parc aquatique de Floride où s’introduit un requin géant dont les dimensions feraient pâlir de jalousie le plus imposant des mégalodons. Si le requin de Spielberg avait tout de la métaphore fantastique, symbolisant la peur de l’invisible et de l’eau, celui de Jaws 3D tient plus du squale préhistorique se bouffant une demi-douzaine de baleines au p’tit déj. Accablée par le deuil (son bébé s’est vautré sur la porte d’entrée du parc en coursant Flipper) et rongée par la colère (le requin arrive à rugir de rage par 50 mètres de fonds), Miss MegaShark tape donc l’incruste dans l’eau sécurisée du parc dans le but de grailler quelques surfeurs, histoire de passer ses nerfs. Ce qui bien sûr ne plait pas trop à la direction de Marineland qui mettent aussitôt tous leurs plus grands cerveaux à l’oeuvre pour virer l’intrus de leur propriété. Car voyez-vous, un requin mal luné de douze mètre de long dans un parc à dauphins et otaries, forcément ça se voit… et ça fait fuir les touristes. En digne héritier de son père, Michael Brody et sa copine Kay feront tout pour affronter la bête, bien aidés par leur copain Flipper et toute sa famille.

Bon, que dire… C’est nul. C’est chiant. C’est moche. Ça pue… Si le cinéma permettait aussi de sentir les odeurs, Jaws 3D refoulerait autant qu’une station d’épuration en pleine canicule estivale. La 3D de l’époque est ridicule, le scénario est lamentable et la réalisation à côté de la plaque. On a ici la confirmation qu’un bon directeur de seconde équipe ne fait pas toujours un bon réalisateur. Le casting lui ne fait rien pour relever le numéro et semble jouer avec les doigts carrés dans le derrière, entre un Louis Gosset monolithique, un Dennis Quaid sans charisme et une Bess Armstrong dont on se fiche pas mal. Seul semble un peu s’amuser Simon MacCorkindale dans son rôle de play-boy prétentieux assez con pour se prendre pour Manimal. C’est toujours un plaisir de le voir se faire mâchouiller dans la gueule du requin.
Clou du spectacle : ce formidable climax, montrant dans un ralenti ridicule les visages des protagonistes se décomposer alors que le requin en relief fonce (à l’allure d’un poisson neurasthénique) dans la grande baie vitrée immergée. Rallongée jusqu’au ridicule, cette séquence résume à elle-seule toute la bêtise du concept 3D de l’époque.

Récompensé par un bide bien mérité et trainant depuis sa réputation de nanar boursouflé, Jaws 3D pue toujours autant la daube quatre décennies après sa sortie. Ce qui ne découragea pas pour autant les producteurs de la Universal qui, non conscients de l’énormité de leur connerie, poussèrent le vice jusqu’à autoriser la mise en chantier d’un quatrième opus… et réussirent l’exploit de produire un film encore plus nul, chiant et moche que ce navet stéréoscopique. Car Les Dents de la mer 4, c’est quelque-chose… Mais c’est une autre histoire.

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