Il suffit de jeter un oeil à la filmo d’Antoine Fuqua pour se rendre compte qu’elle gagne incontestablement en qualité au fil du temps. Longtemps considéré comme un faiseur sans génie, ce cinéaste a néanmoins su s’entourer de collaborateurs réguliers (David Ayer, Denzel Washington, Ethan Hawke) pour booster une série de projets allant de la simple commande hollywoodienne aux thrillers plus burnés. C’est ainsi qu’il s’est rapidement détaché de son image de yes man des débuts (le très “wooesque” Un tueur pour cible, le médiocre Les larmes du soleil) pour composer une filmographie assez cohérente tournant autour des thèmes de la corruption (Training Day), de la criminalité, de la trahison (Shooter, tireur d’élite) et de la justice sauvage (Equalizer, Les Sept Mercenaires). Si son film le plus célèbre (et le plus réussi) reste sans conteste Training Day (sorti en 2001), L’Elite de Brooklyn (Brooklyn’s Finest), réalisé dix ans plus tard, le talonne de très près dans l’exercice du polar urbain moite, semi-réaliste, et sans concession. A ceci près qu’il s’agit ici plus d’un film mosaïque, s’intéressant aux trajectoires de plusieurs protagonistes pour mieux mettre en évidence les aspects les plus ingrats du métier de policier à New York. Une thématique brûlante qu’il convient de revisiter à l’aune des récents scandales raciaux ayant eu lieu aux Etats-Unis.
Un crime a lieu dans le 65ème district de New York, un jeune dealer afro-américain ayant été abattu et volé par un agent de police. Ce qui embrase rapidement les consciences et oblige la police à montrer patte blanche à la population. A une semaine de la retraite, Eddie (Richard Gere) se voit ainsi confier la charge de former de jeunes recrues durant ses patrouilles dans les rues. Ce qui ne convient pas à ce vieux flic suicidaire, amoureux d’une jeune prostituée. De son côté, Sal (Ethan Hawke) angoisse à l’idée de ne plus pourvoir subvenir aux besoins de sa famille. Aux abois, il finit par abattre des dealers de drogues pour leur subtiliser leur argent. Tango (Don Cheadle), lui, est un flic infiltré dans un gang de trafiquants afro-américains et vient de passer un an en prison où il est devenu ami avec Caz (Wesley Snipes), le chef du gang. Ce dernier venant d’être libéré, les deux hommes sont confrontés à un des sbires de Caz, bien décidé à les doubler. Mais Tango est bientôt confronté à un dilemme, sa hiérarchie lui demandant de piéger Caz en l’impliquant dans un deal sous surveillance. Alors que les rues deviennent de plus en plus hostiles pour qui porte une insigne, chacun des trois hommes va bientôt devoir se confronter à l’idée de passer à l’acte.
A priori, rien de bien nouveau dans cette intrigue qui ne fait qu’appliquer au polar les recettes usées des Traffic, Collision, 21 grammes et autres. Dans la grande tradition des films choraux, il s’agit ici de décrire et d’entrecroiser les trajectoires fracassées de trois flics fatigués, aux ambitions divergentes. Si la solitude et les remords d’une vie gâchée les accablent au sein d’une jungle urbaine où le flic devient la proie de tous, Brooklyn’s Finest met surtout l’accent sur la ligne ténue qui sépare les policiers des criminels qu’ils traquent. La première séquence du film voit un flic abattre un indic pour lui voler tout son fric, la suivante voit un attroupement d’afro-américains autour d’une scène de crime qui a vu un jeune délinquant être abattu et dépouillé par un autre policier… L’exposition de L’Elite de Brooklyn donne ainsi le ton et dénonce les agissements d’une police corrompue n’hésitant plus à se rabaisser à la plus odieuse criminalité. La frontière entre les deux camps se voit aussi soulignée par la portraiture que fait Fuqua de son trio de protagonistes. Ainsi, le personnage de Don Cheadle réalise, après 8 ans passés à infiltrer un gang, qu’il a plus en commun avec les gangsters qu’il côtoie qu’avec les agents racistes pour lesquels il travaille. Celui d’Ethan Hawke nous est présenté comme un flic des stups totalement amoral, n’hésitant pas à exécuter les gangsters pour leur dérober leur argent. Le personnage de Richard Gere quant à lui, répond a priori au cliché du flic usé et planqué, qui n’attend que la retraite. Décrit comme moralement détruit, désespérément solitaire et individualiste, il n’a d’autre but que de s’acquitter de sa dernière semaine de boulot en évitant le plus possible les emmerdes. L’occasion de le confronter à la moralité de deux nouvelles recrues, aux convictions nettement plus nobles et idéalistes.
Bien sûr, L’Elite de Brooklyn marche sur les plates-bandes de tout un héritage de films policiers et semble n’apporter que peu de choses au genre. Pourtant, le métrage de Fuqua gagne beaucoup à décrire un quotidien policier dépressif en mettant en lumière l’aspect ingrat d’une profession abhorrée et incomprise. Le film rejoint en cela plus encore Narc de Joe Carnahan que Training Day, auquel il emprunte la même approche jusqu’au-boutiste. Quelques scènes en particulier mettent l’accent sur le dégoût et la frustration qui anime certains de ces flics, injustement abusés par leur hiérarchie, invariablement payés au lance-pierre, et dont les carrières aboutissent à voir leur plaque jetée négligemment par un fonctionnaire dans un carton, parmi tout un tas d’autres insignes. Ces trois flics en déshérence se voient tous remarquablement interprétés : Richard Gere réussit à convaincre dans un rôle à contre-emploi et casse ainsi son image proprette de star des 90’s, Ethan Hawke déchire à nouveau dans un rôle de pourri de circonstance déterminé à pourvoir aux besoins de sa famille, et Don Cheadle s’implique visiblement beaucoup dans son rôle de flic infiltré, menaçant de franchir la ligne à chacun de ses pas. A leurs côtés et face à eux, une pléthore de seconds rôles (Wesley Snipes fraîchement sorti de taule, Ellen Barkin, Will Patton, Logan Marshall-Green et même Vincent D’Onofrio) apporte assez d’ambivalence à l’intrigue pour permettre à Fuqua de ne jamais céder au moindre manichéisme. Grâce à sa remarquable distribution, l’intérêt d’un script audacieux et la qualité de sa mise en scène, le cinéaste signait assurément avec L’Elite de Brooklyn un des meilleurs polars de la décennie passée.