Dans un futur bien connu des fans de Gunnm, une ville dépotoir où l’humanité s’enlise dans la cruauté et la fusion avec la machine. Les masses populaires ne jurent plus que par le Motorball, un sport ultra-violent où plusieurs équipes de coureurs cybernétiques se disputent une balle de métal le long d’un circuit stadium aux virages meurtriers. Les gens s’abrutissent devant le spectacle et vouent un culte idiot à ces dieux du stade tandis que les organisateurs des jeux brassent le pognon et gavent leurs champions de drogues de synthèse pour booster leurs performances. Sven est un des coureurs secondaires, un de ceux bien connus mais qui ne gagnent jamais. Habitué à se crasher volontairement sur la piste pour divertir ses fans, il est méprisé par une grande partie du public ainsi que par les autres coureurs. Le jugeant peu rentable, le patron de son écurie décide du jour au lendemain de le licencier. Peu importe pour Sven tant il n’a pas du tout l’esprit compétitif. Hanté par le spectre d’un marathonien suicidaire, le jeune cyborg va alors tomber amoureux d’une belle cartomancienne qui l’encouragera à affronter son destin. Car dans les gradins, les supporters exultent et enragent. Et dans le tumulte d’un sport meurtrier, ils exigent le retour du roi des “crashistes”. Sauf que ce dernier n’en a plus que faire des attentes du public et de ses patrons. S’il revient cette fois, ce sera pour gagner.

Ecrit et dessiné par Yukito Kishiro et publié en 1997 au Japon (1999 en France), Ashman (Haisha en japonais) est un court manga one shot dont l’action se situe dans le même univers que Gunnm. Il prend pour contexte l’univers sordide et terriblement graphique du Motorball, un sport futuriste ultra-violent que Kishiro a imaginé en s’inspirant du film d’anticipation Rollerball de Norman Jewison. Loin de lorgner sur les exploits de Gally et Jashugan (qui ne sont jamais évoqués ici), l’intrigue du manga s’accroche aux rollers de Sven, un jeune cyborg, doué pour la vitesse mais totalement inadapté à la violence du monde dans lequel il évolue. L’intrigue, relativement simpliste, permet à Kishiro d’explorer plus en avant l’univers de SF hardcore qu’il a créé pour Gunnm et d’en tirer une modeste réflexion sur la manipulation des foules par le sport-spectacle et la sacralisation excessive des dieux du stade dont l’auteur imagine ici deux représentants, aux antipodes l’un de l’autre (Sven, qui court pour ressentir, et Dragunov qui ne court que pour gagner et satisfaire son ego). Un propos emprunté là aussi au chef d’oeuvre de Jewison (qui dénonçait aussi l’emprise politique par le sport-spectacle) et qui n’a toujours rien perdu de sa force aujourd’hui.

D’un point de vue graphique, Ashman permet à Kishiro d’expérimenter un style d’illustration différent, jouant beaucoup sur un encrage puissant pour figurer les ombres de cette dystopie hardcore. On retrouve dans le travail du mangaka beaucoup de celui de Frank Miller sur Sin City, notamment dans cette volonté de dépouiller les cases du moindre détail superflu et de souligner la noirceur de son récit par des nappes d’encre écrasantes. Appliquer l’exercice à l’univers de Gunnm était une idée intéressante et nous permet de retrouver la ville-dépotoir de Kuzutetsu (jamais nommée ici), ses monstres cybernétiques et son humanité défaillante (voir le passage du gamin qui braille, “explosé” par un chaland un rien irascible). La violence très graphique mais aussi habilement suggérée (voir le meurtre de la prostituée) ne surprendra évidemment pas le fan pur et dur, Kishiro se surpassant ici dans les effets de collision dévastatrice de ces coureurs du futur. L’artiste réussit à donner une impression de vitesse à ses personnages, lancés à 300 à l’heure sur la piste dans de redoutables armures de métal, et offre au lecteur quelques planches autrement plus sensationnelles que son précédent travail (plus traditionnel) sur l’arc Motorball de Gunnm. En ce sens, Ashman prolonge à merveille l’univers de Gally en se passant aisément de toute référence, tant narrative que graphique, aux exploits de l’héroïne. Si le scénario n’a rien d’innovant, il s’agit tout de même d’un des meilleurs travaux du Kishiro dessinateur, ici en plein exercice de style.
Un petit bijou de SF noire et hardcore qui ne ravira probablement que les fans purs et durs de Gunnm.

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