CRITIQUE DES HUIT TOMES :

Paru de 2003 à 2009, le manga Pluto reste connu pour être un des meilleurs seinens de sa génération. Déjà auteur de deux séries extrêmement populaires (Monster21th Century Boys), Naoki Urasawa profitait de l’anniversaire fictif d’Astro Boy (le 7 avril 2003) pour rendre hommage à son auteur, Osamu Tezuka, considéré comme l’inventeur du manga moderne et de l’anime (Astro Boy donna lieu au premier anime de l’histoire). Elaboré comme une véritable opération commerciale au Japon, ce projet était aussi censé mettre en avant l’importance de l’oeuvre de Tesuka aux yeux du lectorat le plus jeune, biberonné aux One PieceFairy Tales et autres shonen. C’est ainsi que le fils de Tesuka a délégué la création de ce manga à Urasawa qui a choisi de reprendre et de moderniser l’intrigue de l’épisode le plus connu d’Astro Boy (et dixit l’auteur, à l’origine de sa passion du manga) : Le robot le plus fort du monde.

Dans un futur proche, la technologie cybernétique a fait un bon immense et les robots se fondent désormais parfaitement dans la population humaine. Sept d’entre eux restent mondialement connus pour être des héros de guerre, puissants intervenants dans le conflit ayant opposé l’Eurasie au royaume de Perse.
Quand le robot pacifiste Mont Blanc est retrouvé mystérieusement détruit en Suisse, les autorités du monde entier s’interrogent sur l’identité de son assassin. Qui a bien pu affronter et vaincre un robot d’une telle puissance ?
L’inspecteur Gesicht est lui-même un des plus redoutables robots du monde. En charge de l’enquête, il va mettre en garde les cinq robots restants du danger qui pèse sur eux et découvrir progressivement la vérité sur l’identité et les motivations du monstrueux Pluto.

Comme souvent dans les mangas d’Urasawa, le postulat simpliste cache une intrigue aux ramifications complexes. Particulièrement doué quand il s’agit d’user de la narration éclatée, le mangaka ne perd pour autant jamais de vue la cohérence de l’ensemble de son intrigue. Sa principale force réside dans l’intérêt suscité par chacun de ses personnages et l’ambivalence d’un antagoniste autour duquel plane une aura de mystère initiée par cette image d’un homme souriant, perdu au milieu d’un champ de fleurs. A ce titre, on reconnait bien là la signature de l’auteur, sa propension à construire ses histoires autour d’un personnage énigmatique, une véritable némésis venue des tréfonds du passé et qui menace à elle-seule, plus que la vie des personnages, l’équilibre global. Il faut d’ailleurs voir comment Urasawa prend un malin plaisir à annoncer les interventions de Pluto : tout d’abord fantomatique et immatériel, indifférent à toute pitié dans le meurtre de ces vaillants héros, celui-ci se révèle progressivement dans sa silhouette monstrueuse, comme une véritable figure vengeresse annonçant l’apocalypse. Bien sûr, le scénario n’évite pas quelques poncifs et autres ficelles trop apparentes comme la succession progressive des victimes du monstre jusqu’à cette rédemption finale, sans surprise mais néanmoins émouvante.

Et qu’en est-il d’Astro Boy dans tout ça ? Car au final, l’idée du manga est de mettre à nouveau en lumière le plus célèbre personnage de Tezuka.
On dira ce qu’on voudra, Astro a beau être une icone particulièrement populaire au japon, l’idée de le remettre au gout du jour dans une histoire plus sérieuse et moderne relevait d’une sacrée gageure. Urasawa fait ici le choix étonnant de faire du petit robot (relooké pour l’occasion) un personnage secondaire, dans un premier temps, et de privilégier contre toute attente le point de vue de l’inspecteur Gesicht. A ce titre, Pluto se présente comme un véritable polar futuriste empruntant aux codes traditionnels des intrigues policières (interrogatoires, indics, scènes de crimes) tout en y greffant des thèmes science-fictionnels certes classiques mais toujours aussi passionnants. Très proche du questionnement posé par l’oeuvre d’auteurs comme Asimov, Dick et Ellison, Pluto nous interroge sur la définition de l’humanité dans un contexte futuriste où les robots empruntent tellement de caractéristiques humaines qu’il en devient parfois impossible de les distinguer de leurs créateurs. Les plus évolués sont présentés comme des êtres aussi intelligents que bienveillants, reproduisant sans cesse les émotions humaines par mimétisme sans pouvoir vraiment les comprendre, incapables de ressentir l’empathie par exemple ou même le besoin. Ils perçoivent des signes, comme la peur ou la tristesse d’un être vivant mais semblent incapables de les comprendre. Du moins au départ. Car au fil de l’histoire, certains de ces robots vont pourtant s’humaniser et faire l’expérience des émotions les plus extrêmes, ressentant joie et amour, tristesse et colère jusqu’à éprouver la haine. L’intelligence artificielle dite “parfaite” n’est ici pas celle qui s’avérera irréprochable (comme l’est Astro) mais celle qui sera assez faillible pour se perdre dans les méandres de la haine et de la tristesse. Motivé par des émotions extrêmes, Pluto n’est finalement que la représentation symbolique du premier meurtrier biblique, une âme pure transformée en Caïn de métal et consumée par une haine qui ne lui appartient pas vraiment.

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