Sorti sans fanfare en début d’année, Captive State est de ces films de SF étonnants qui alimentent de manière remarquable le genre à l’écran. Le postulat n’a pourtant rien de novateur et puise son concept dans les intrigues d’invasions insidieuses et collaborationnistes des années 80 (VThey Live). On y découvre une humanité suffocante, asservie par de mystérieux envahisseurs aliens qui, non contents de squatter la Terre, en épuisent toutes les ressources au profit de leur propre planète. Les forces armées et politiques collaborent activement à servir cet envahisseur tout puissant dont on ne sait quasiment rien. Face à eux, seules s’opposent des poches de résistance agonisantes, rapidement démantelées, mais dont subsistent encore quelques membres dirigés par le mystérieux numéro un. Ayant été témoin très jeune du meurtre de ses parents par les aliens, Gabriel vit aujourd’hui le deuil de son frère aîné, véritable héros de la lutte contre l’envahisseur. Livré à lui-même, il est approché par William Mulligan (John Goodman), son ancien tuteur et chef de la police, déterminé à faire tomber la résistance. Bientôt, les quelques derniers membres du réseau s’organisent pour frapper l’état-major alien, à l’occasion d’une réunion politique.

Déjà réalisateur du reboot réussi de la Planète des singes, Rupert Wyatt élabore ici un film d’invasion à l’approche minimaliste et dépressive, très loin des invaders movies spectaculaires et tape-à-l’oeil. Cela n’exclut pas pour autant des séquences impressionnantes (l’attaque dans le parking sous-terrain) et d’authentiques moments de suspense (le contrôle à la douane), jouant sur l’aspect indicible d’envahisseurs proprement détestables et effrayants. On en saura pourtant que très peu sur les motivations de cette espèce alien belligérante, celle-ci restant ici quasi-invisible et ne servant que de catalyseur à l’effondrement de l’humanité.
Dans la continuité des travaux de Spielberg (La Guerre des mondes), Cuaron (Les Fils de l’homme) et Blomkamp (District 9), Wyatt propose une SF réaliste et immersive, entièrement consacrée à l’humanité de ses protagonistes, et nous plonge dans les préparatifs d’une opération censée réveiller les consciences. Se plaçant à hauteur d’homme, la mise en scène colle au plus près du regard de ces personnages abîmés, évoluant au coeur d’un Chicago terne, brumeux et dépeuplé, et qui évoque par bien des aspects les paysages urbains désolés du Londres des Fils de l’homme.

A cette approche dépressive, se greffe la volonté d’esquisser la portraiture ambivalente de protagonistes déterminés à agir. Tous sont les témoins d’une humanité qui se condamne elle-même à l’extinction dans son refus de lutter face à l’oppresseur. Dernier espoir du genre humain, les résistants de Captive State sont, à l’image de ceux de la Seconde Guerre Mondiale, de simples quidams aux idéaux imperturbables, dissimulant leur héroïsme sous le masque de la plus parfaite banalité. Il faut voir cette séquence hallucinante où, par un montage habile, le réalisateur remonte la chaîne des derniers membres de la résistance pour révéler la complexité et les précautions de leurs interactions. A l’opposé de ceux-ci, le personnage de John Goodman (seule véritable star à l’affiche avec Vera Farmiga) traîne sa dégaine au milieu des ruines, endossant à regret le rôle détestable de collaborateur et de traître à son espèce, mais révélant en fin de compte une ambiguïté aussi étonnante que touchante.

On pourra mettre à l’index quelques longs tunnels de dialogues, des ficelles scénaristiques déjà utilisées, un refus (judicieux) du spectaculaire et un final facilement prévisible (le script ne mise jamais sur son twist et vend la mèche rapidement), le film de Wyatt regorgera toujours plus de qualités que de défauts. Moins simpliste qu’il n’y parait, Captive State est de ces films de SF alarmistes, aux multiples degrés de lecture. Par son scénario, Wyatt critique ainsi autant l’attitude démissionnaire et collaborationniste d’une grande partie des peuples soumis à l’oppression, qu’il impose les figures citoyennes les plus modestes et improbables (des enseignants, des manutentionnaires, des vétérans et des prostituées) comme derniers remparts à l’oppresseur. Rien de bien nouveau dans le vaste monde de la SF certes mais il s’agira également ici d’une mise en garde écologique : si Wyatt s’intéresse si peu à ses aliens, c’est qu’ils ne sont dans son film que la métaphore SF de certaines puissances politiques et financières qui pillent et ravagent la planète à leur profit. Les véritables héros ne sont ainsi pas ceux, armés ou vendus, qui les servent, il s’agit de celles et ceux qui ont assez de volonté pour s’indigner et agir.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *