En 1914, alors que la grande guerre commence à peine à déchirer l’Europe, Friend, un jeune climatologue, débarque sur une île déserte de l’océan austral pour y étudier les variations climatiques pendant un an. Il fait alors brièvement connaissance avec le seul autre habitant de l’île, un gardien de phare taciturne et antipathique, qui ne lui témoigne que peu d’intérêt. Une nuit, la cabane de Friend est attaquée par des hordes de créatures et le jeune homme survit par miracle, après avoir mis le feu à son habitation. Il est alors contraint de rejoindre le gardien du phare, lequel semble déjà très au courant du danger qui les menace.

Adapté du roman éponyme du catalan Albert Sanchez Pinol, Cold Skin s’impose comme un remarquable film de genre, dont le postulat quelque peu minimaliste laisse rapidement entrevoir l’influence de l’imaginaire lovecraftien. En voyant ces nuées de créatures hantant le rivage nocturne, on pense bien sûr à la forme errant sur la plage de Night Ocean ou bien à la race monstrueuse venue des fonds océaniques gouvernés par Dagon.
Le protagoniste lui-même, Friend, s’apparente à un héros lovecraftien, fuyant quelque-chose qui le pousse à s’isoler du monde et à venir s’enterrer sur cette île sinistre perdue au milieu d’un océan déchaîné, malgré les mises en garde amicales du capitaine du bateau qui l’y emmène. Incarné par l’acteur de théâtre David Oakes (The Borgias), Friend devient alors le témoin actif de la folie de Gruner, le gardien du phare, qui chaque nuit livre bataille contre ces hordes de créatures humanoïdes montant sans relâche à l’assaut de l’édifice solitaire. Misanthrope et violent, Gruner (Ray Stevenson) garde en lui le souvenir d’un amour perdu qui l’a poussé à s’exiler sur cette île avec pour seule compagnie une étrange créature femelle (Aura Garrido) qu’il a réduite à l’état de vulgaire animal et d’esclave sexuelle. L’arrivée de Friend dans le phare posera alors les bases d’un triangle amoureux étrange et dérangeant tout en mettant en parallèle la destinée des deux hommes, aussi différents que complémentaires dans leur antagonisme.

Réalisateur virulent du polémique Frontières, du nanar Hitman et du très inégal The Divide, Xavier Gens livre ici son film le plus abouti, moins violent que ses précédents efforts mais pas moins dérangeant, optant ici pour un duel psychologique en huis-clos, très loin des champs de bataille de la Grande Guerre qui ravage l’Europe. Privilégiant la suggestion à l’horreur graphique, le réalisateur tire pleinement profit de l’atmosphère fantastique de son cadre, s’appuyant sur une très belle photographie pour composer des plans à la poésie inquiétante et cafardeuse. Rares sont les films à donner ainsi au spectateur ce sentiment d’angoisse et d’inéluctable avec pour seul cadre une île rocailleuse, un phare tombant en ruine et le vaste océan démonté qui les cerne. On regrettera seulement le caractère trop répétitif d’un scénario qui, à mi-métrage, marque une évidente baisse de régime, rapidement rattrapée par l’évolution fascinante du récit. Le tout s’achemine ainsi vers un dernier acte à la conclusion aussi rageuse que déchirante, qui boucle de fort belle manière les trajectoires fracassées de ces deux exilés.

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