Il aura suffi que Thanos daigne enfin lever le cul de son trône et entamer une Infinity War particulièrement apocalyptique pour voir disparaître en un claquement de doigts fatal plusieurs figures majeures de l’écurie Marvel. Un bouleversement qu’il était alors difficile de voir venir à l’aune de la longue et patiente construction mythologique du MCU depuis 2008.
Tout le postulat de Endgame tient alors dans la résolution possible d’un tel cataclysme : contrecarrer l’oeuvre génocidaire de Thanos via le prétexte du voyage spatio-temporel.

On retrouve donc ici des héros fragilisés et démoralisés, ressassant sans relâche leur défaite face au Titan fou. Entrevu lors d’une brève expédition punitive au début du film, ce dernier n’a d’ailleurs lui aussi plus grand-chose du terrible seigneur de guerre du précédent film mais devient ici un être résilient et abîmé, tourné vers l’idée de sa propre mort. A l’image du traitement de Thanos, une grande partie de l’intérêt de ce dernier opus réside ainsi dans la métamorphose plus ou moins évidente de ses personnages emblématiques : Tony Stark nous est montré plus fragile que jamais et totalement démissionnaire, Hulk est en paix avec lui-même, Hawkeye devient un simili-Punisher avide de vengeance, Nébula semble s’être bonifiée au contact de Stark et Thor lui, devient une caricature de geek oisif et bedonnant, rongé par l’alcoolisme et la dépression. Loin d’une banale désacralisation, l’évolution étonnante et souvent drôle de ses icônes s’oppose donc à toutes les attentes et permet aussi de les humaniser comme jamais auparavant.

Plus intimiste et dramatique que les précédents opus, Endgame se démarque également par des choix esthétiques étonnants. A contrario des couleurs ocres et chaudes d’Infinity War, ce dernier opus se nappe d’une palette chromatique morne et dépressive, à l’image du monde désolé qu’il met en scène, où l’humanité, incapable de faire le deuil de ses disparus, semble s’enfoncer en seulement cinq années dans la plus profonde torpeur. L’ambiance, particulièrement lourde, n’exclut pas pour autant l’humour propre aux films de la franchise : on retrouve ici le parfait équilibre entre dramaturgie fantastique et comique référentiel, les scénaristes misant pleinement sur des dialogues hauts en couleurs et sur une dimension parodique plutôt bienvenue, privilégiant un comique de situation à la limite de l’absurde (voir cette scène du selfie avec Hulk ou encore celle où Scott Lang croise tous ces “surhumains” à l’entrée de la base des Avengers).

Côté scénar, le film pâtit d’une narration déséquilibrée, où les scènes d’action (cinq au total) se font rares pendant ces trois heures de développement narratif. On est loin du schéma narratif d’Infinity War qui alternait à merveille tous ses éléments de façon à ne jamais ennuyer le spectateur.
Le macguffin de la quête des pierres de l’Infini reste au centre du film, il autorise une intrigue spatio-temporelle riche en paradoxes plus ou moins bien gérés qui devient ici surtout le prétexte idéal pour (re)plonger nos héros dans certains épisodes importants de leur passé. L’occasion pour eux de retrouver des parents ou amis disparus et de se confronter parfois à leur propre métamorphose en les faisant par exemple revivre les événements apocalyptiques du premier Avengers. De l’eau a coulé sous les ponts depuis la bataille new-yorkaise et le MCU lui, a vu peu à peu évoluer ses personnages vers cette fin de jeu aux accents de baroud d’honneur.

Bien sûr, le scénario n’évite pas l’écueil des incohérences propres à ce type d’intrigue temporelle mais dans l’ensemble, le script d’Endgame se déroule sans trop d’accrocs et surprend même, comme l’avait fait le précédent opus, par des choix étonnants et inattendus, propres à bouleverser durablement l’univers cinématographique de la franchise. Le tout s’achemine ainsi vers un dernier acte épique sous forme de bataille titanesque, plus jouissive encore que la précédente car incluant ici des personnages absents d’Infinity War, et ce même si l’on peut regretter dans ce joyeux foutoir, le peu de présence à l’écran de certains d’entre eux (comme par exemple Carol Danvers, que les scénaristes utilisent ici comme un simple deus ex machina).

Après avoir longtemps joué avec la mort supposée de quelques-unes de ses icônes jusqu’à désamorcer tout véritable enjeu, Marvel ose enfin l’impensable. L’immunité de ses héros n’a ici plus court et le retour attendu des “disparus” du précédent film n’exclut pas pour autant le sacrifice d’autres personnages emblématiques de la franchise. En ce sens, le choix de fragiliser les héros dès le début du film répond à la nécessité de dramatiser au mieux leur trajectoire et préparer ainsi le départ de certains acteurs-phares du MCU. C’est là que les frères Russo font fort en élaborant un climax aussi rageur qu’imprévisible, puis en bouclant leur film sur une note plus mélancolique, très loin du spectaculaire attendu, et qui conclut en douceur la trajectoire d’un des plus célèbres personnages. Une manière comme une autre de tourner enfin la page et d’ouvrir la franchise vers de tous nouveaux horizons, là où se profilent déjà l’ombre des Eternels, des Fantastiques et des X-Men.

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