Attention, spoilers

Réalisé par le méconnu Trey Edward Schults, It comes at night s’impose aujourd’hui comme un parfait exemple de film de “peur”. Son postulat est simple et reprend à son compte le sous-texte de la nouvelle Le Masque de la Mort Rouge : le monde se meurt d’une maladie inconnue mais hautement contagieuse. Isolée dans une grande maison perdue dans les bois, loin de la civilisation agonisante, une famille tente de subsister en s’isolant du monde extérieur. Quand le doyen de cette famille est atteint de ce mal inconnu, il est exécuté par les siens à la lisière de la forêt. Le film s’ouvre sur cette exécution et tout son propos se trouve déjà là, dans l’opposition entre l’attachement au sacré (la famille) et l’instinct primaire de conservation.

En cela, le postulat du film pourra faire penser à la scène d’ouverture de 28 semaines plus tard qui voyait déjà un groupe de rescapés d’une épidémie s’enfermer dans une ferme isolée. Plus que la simple évocation d’un virus s’invitant dans le refuge des rescapés, l’ouverture du film de Fresnadillo appréhendait déjà l’idée d’une démolition du sacré en désignant le protagoniste interprété par Robert Carlyle comme un lâche qui abandonnait sa femme aux crocs des contaminés puis le confrontait à sa culpabilité. Ici, le propos est inchangé, la famille de survivants ne prend aucun risque et trouve dans l’isolement la seule garantie d’échapper au mal. Ils vivent ainsi depuis assez longtemps pour ignorer l’état du monde qu’ils ont abandonné. L’arrivée d’une autre famille dans leur refuge mettra en péril à la fois leur survie et leur intégrité morale.

La peur de l’autre, de ce monde inconnu qui s’effondre loin du regard, reste au centre de l’intrigue. Elle est ici symbolisée par cette porte close au fond du couloir, ce passage vers un monde interdit qui obsède le jeune protagoniste au point de le hanter jusque dans son sommeil. Victime de terrifiants cauchemars où il se voit évoluer seul dans la nuit, hanté par les hurlements de son aïeul, Travis est un jeune homme privé d’existence, prisonnier d’une solitude et d’un désespoir entretenu par le comportement désespérément survivaliste de ses parents. On soupçonne que son grand-père très tôt sacrifié lui était la personne la plus proche, le dernier véritable repère dans une famille désormais dominée par une figure paternelle écrasante et sans réelle empathie, déterminée à ne pas encourir le moindre risque.

It comes at night a beau traiter de pandémie de peste et de fin du monde, il est moins un film d’horreur qu’un authentique thriller psychologique. La contagion évoquée par les protagonistes n’est finalement qu’un prétexte pour les confronter à leurs propres limites morales. Ici, point de zombies ou de contaminés aux yeux injectés de sang, la pestilence est un ressort narratif, elle restera à la périphérie des événements. Elle est surtout le moteur d’une peur cristallisée par la porte au fond du couloir qui menace à tout moment de s’ouvrir sur un contaminé. C’est cette chose, angoissante et indéterminée, qui du fond des bois, et par l’entremise d’un chien, apporte le mal au sein du refuge. Elle est le monstre qu’on attend mais qu’on ne verra jamais.

Se jouant clairement des attentes et de la mode des zombies flicks, Schults construit un film sur les mécanismes de la peur et privilégie la dimension angoissante de son intrigue à l’horreur pure. La mécanique narrative est un peu répétitive (les cauchemars de Travis) et n’évite pas quelques baisses de rythme mais on oublie facilement ces quelques faiblesses. La mise en scène, lente et contemplative, nourrit l’idée d’une menace suggestive et proprement indicible, efficace car vouée à rester hors-champ. L’idée est alors de coller au plus près du regard des personnages (et surtout de celui du jeune protagoniste) pour ne jamais se détacher de leur désespoir. Les lents travellings dans les couloirs de leur sinistre refuge donnent ainsi l’impression au spectateur de voir les protagonistes évoluer dans la tombe qu’ils se creusent.
Car il s’agit surtout ici d’individus que la peur contamine et finit par déshumaniser. La fin du monde dans It comes at night n’est pas à chercher à l’extérieur, dans un monde ravagé et dépeuplé par la pestilence, l’apocalypse est là, au sein-même de cette famille, dès lors que ceux-ci sont près à sacrifier l’innocence pour subsister. Le père, ancien enseignant, le dira lui-même au cours du film : “il ne faut pas faire preuve de sentiments mais d’intelligence”.
De toute manière, qu’ils privilégient l’un ou l’autre, chaque personnage du film est condamné.

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