On s’était depuis longtemps fait à l’idée que Del Toro ne réaliserait jamais le 3ème opus de sa trilogie consacrée à Hellboy. Plombé par les plannings inconciliables de ses différents partis et la frilosité excessive de ses producteurs, le projet Hellboy 3 s’enlisa dans un bourbier dont il ne sortit jamais, condamnant de la sorte la cohérence du diptyque ciné consacré au garçon de l’enfer de Mignola.
Il n’aura pourtant pas fallu longtemps pour que les financiers ne mettent sur les rails un reboot de Hellboy au cinéma, tournant le dos à l’oeuvre de Del Toro pour repartir de zéro sous l’égide d’un Neil Marshall bien moins reconnu par la communauté geek. Issu du cinéma horrifique (on lui doit Dog Soldiers et surtout The Descent), le cinéaste britannique s’est donc montré assez couillu pour succéder à l’artiste Del Toro en proposant sa version de l’univers imaginé par Mike Mignola, bien plus noire, cynique et sanglante que celle de son prédécesseur.

Exit donc Ron Perlman dans le rôle-titre, le garçon étant ici incarné par le talentueux David Harbour (EqualizerStranger thing) auquel le faciès démoniaque du personnage va tout aussi bien.
Semi-démon patibulaire et marmoréen, Hellboy travaille pour le BPRD (Bureau for Paranormal Research and Defense), une agence secrète gouvernementale, spécialisée dans la lutte contre les phénomènes surnaturels. Avertis par un de ses anciens collègues que la fin du monde approche et qu’il est celui qui la provoquera, Hellboy devient la cible d’un club d’aristocrates anglais, de créatures infernales toutes plus redoutables les unes que les autres et d’une sorcière en morceaux venue du fond des âges bien décidée à en faire son roi. Pouvant compter sur les ressources de son père d’adoption et sur l’appui d’une jeune médium et d’un ancien béret vert au coup de griffes acérées, le démon rouge aux cornes sciées part à la recherche de la seule arme capable de vaincre l’increvable Reine de sang, la légendaire épée Excalibur. Dans son périple, il découvrira ses origines et se rapprochera dangereusement du mauvais côté en prenant conscience de sa nature destructrice.

Bien sûr il était inévitable que cette nouvelle adaptation souffre de la comparaison avec le diptyque de Del Toro. Accueilli à coups de critiques assassines par des fans énervés qui érigèrent exagérément le Hellboy du réalisateur mexicain au rang de chef d’oeuvre (ce qu’il est loin d’être), ce nouveau film partait avec l’handicap d’un Amazing Spiderman, reboot jugé inutile à l’aune de premières adaptations trop récentes.
Conscient qu’il n’échapperait pas aux reproches faciles et à la vindicte des fans de Del Toro, Marshall opta donc pour une vision résolument plus noire (et autrement plus fidèle) de la mythologie imaginée par Mignola en adaptant les tomes 9 (L’Appel des ténèbres) et 10 (La grande battue) pour définir les grandes lignes de son intrigue. Il intègre ainsi à son film non seulement des éléments essentiels aux comics et absents des précédents opus (Nimue la Reine de sang, l’ascendance d’Arthur, l’épée Excalibur, la jeune médium Monaghan, le “léopard-garou” Daimio, et même deux caméos de Lobster Johnson) mais y appose aussi une dimension horrifique clairement plus décomplexée qui fait ici toute la différence avec la fantaisie horrifique propre aux films de Del Toro. En grand artisan de l’horreur cinématographique, le réalisateur de The Descent se fait ainsi franchement plaisir dans l’étalage de divers effets gores dus à la cruauté de créatures aussi terrifiantes que saugrenues (voir l’impressionnant Gruagach), allant même jusqu’à suggérer le festin cannibale d’une sorcière édentée se nourrissant exclusivement de jeunes enfants. Conservant les scènes d’action à la Jack Kirby où des créatures se mettent joyeusement sur la gueule sans lésiner sur les punchlines, Marshall embraye également le pas à Del Toro en imposant lui aussi la thématique du choix inhérente à son héros, déchiré entre sa nature profonde et l’amour qu’il porte à son père d’adoption.

Visiblement respectueux du matériau d’origine, le réalisateur élabore quelques séquences aux partis-pris stylistiques intéressants (l’antre de la sorcière, le combat contre les géants) mais dont la photographie crépusculaire et le décorum dantesque se voient hélas desservis par des sfx numériques à la qualité quelque peu discutable (les incrustations CGI ne font jamais illusion). L’autre reproche que l’on pourra faire au film est son scénario inégal, plombé par une narration pas toujours très cohérente, parsemée de séquences dispensables. L’intrigue compte aussi pas mal de raccourcis (l’attaque des géants, le carnage londonien) et de dialogues limités qui menacent parfois de faire sombrer le film dans le bis pur et dur (voir le prologue médiéval).
Ces défauts évidents ne condamnent pas pour autant les nombreuses qualités de cette nouvelle adaptation du comic culte de Mignola. N’ayant finalement que peu de choses à envier à la version de Del Toro, ce Hellboy cuvée 2019 s’apprécie pour ce qu’il est, un sympathique divertissement truffé de scènes funs, fidèle à l’oeuvre qu’il adapte et autrement plus “horrible” que le diptyque qui l’a précédé.

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