Récit horrifique d’une férocité dérangeante, magnifié par les dessins surréalistes de Ben Templesmith, 30 jours de nuit reste un des comics les plus remarquables de ces 20 dernières années. Conforté par le succès critique de son Hard Candy, le réalisateur David Slade adapta en 2007 l’oeuvre de Steve Niles pour en tirer un film éponyme, porté par l’originalité d’une intrigue qui renouvelait le mythe du vampire.
Barrow, petite ville frontalière de l’Alaska, s’apprête à plonger dans une nouvelle nuit de 30 jours. Alors que certains de ses habitants quittent provisoirement la ville, d’autres se préparent à passer le prochain mois dans l’obscurité. Comme de coutume, le shérif Eben Oleson surveille les préparatifs. Il ignore que Stella son ex-compagne est de passage à Barrow. Pressée par le temps, celle-ci compte bien quitter la petite ville avant la tombée de la nuit. Mais un accident de circulation la contraint à revenir à Barrow et à contacter Eben. Ce dernier est d’autant plus troublé par le retour de son ancien amour que des événements étranges lui sont signalés à différents endroits de la ville. Alors qu’il enquête sur le massacre d’une meute de chiens dans leur enclos, au même moment, un étrange individu débarque en ville et sème le trouble en annonçant la mort prochaine des habitants de Barrow. Plusieurs agressions particulièrement violentes et inexpliquées ont alors lieu à différents endroits de la ville. Une longue nuit de cauchemar commence pour le shérif.
Sorti sans fanfare sur les écrans, à une époque où le genre horrifique connaissait un véritable revival, 30 jours de nuit reste aujourd’hui quelque peu méconnu. A tort, tant le film de David Slade regorge de qualités dont une des moindres reste l’ambiance cauchemardesque qui s’en échappe.
Pour ce faire, le réalisateur applique à la lettre les leçons de maître Big John (celui de Fog, The Thing et Prince des ténèbres) en opérant une mise sous tension particulièrement efficace dès les premières minutes du métrage, collant au plus près à la noirceur du comic. Enveloppée de sonorités angoissantes, toute l’exposition du film annonce ainsi l’imminence d’une catastrophe et prépare lentement le surgissement du fantastique le plus terrifiant. Il s’appuie ainsi sur une formidable direction artistique (le travail sur la photo et sur les couleurs est à tomber) pour présenter le cadre de l’action et confiner ses personnages dans une ville à la lisière du monde, cernée par des étendues de neige sur lesquelles se meure la lumière du jour. Pas un seul trait d’humour ne viendra désamorcer cette longue mise en place de l’angoisse et l’on devine sans trop de difficulté le caractère sacrifiable de bon nombre des protagonistes qui nous sont présentés dès les premières minutes du film.
Survient alors l’attaque des vampires. D’une brutalité inouïe, leurs premières interventions rendent parfaitement justice à la cruauté des monstres de Niles et Templesmith. A une époque où le cinéma fantastique privilégiait la figure du zombie véloce et hurlant (28 jours plus tard, L’Armée des morts), tout en plombant le mythe du vampire par une saga aussi mièvre que ridicule (Twilight, dont ironiquement Slade réalisera le 3ème opus), 30 jours de nuit réussissait à redonner aux créatures de la nuit leur aura de prédateurs sanguinaires et bestiales, très loin des vampires raffinés et torturés d’Anne Rice, ou des teenagers scintillants de Stephenie Meyer. N’ayant aussi plus grand chose des créatures solitaires stokeriennes mais fonctionnant telle une meute de loups affamés, unis autour d’un mâle alpha (un peu à la façon des Vampires de Carpenter dont le look sinistre s’avère d’ailleurs étonnamment proche), les vampires de 30 jours de nuit ont le sourire ouvertement carnassier et ne se plient que très peu aux critères de la mythologie littéraire : ils ne craignent aucun crucifix ou pieu dans le coeur mais redoutent la lumière du jour et ne meurent que par décapitation. Leur invasion de la ville de Barrow donne lieu à un carnage cauchemardesque dont Slade ne rechigne jamais à filmer l’extrême cruauté. Le réalisateur ne cède ainsi jamais aux mises à morts faciles et trop expédiées mais insiste au contraire sur la violence de chaque exécution via des effets gores qui, à mon sens, auraient clairement justifié à l’époque un classement plus approprié en France (interdit aux moins de 12 ans, 30 jours de nuit est toujours plus violent que L’Armée des morts, interdit aux moins de 16 ans).
Particulièrement inventif dans sa mise en scène, Slade aligne alors les séquences traumatisantes, usant de différents procédés (cadrages travaillés, longs travellings en plongée de la ville attaquée, entrées dans le champ floutées en arrière-plans) et exploite à fond le potentiel de son décor pour rendre parfaitement justice à la dimension horrifique du matériau qu’il adapte. Son film n’en est pas pour autant exempt de défauts, un des moindres étant la problématique qu’impose la timeline annoncée de son histoire que le scénariste Stuart Beattie appliquait ici au format cinématographique. Le problème était le même dans le comic scénarisé par Steve Niles : si l’idée de décrire un survival sur 30 jours en prétextant l’isolement et la tombée d’une longue nuit s’avérait prometteuse sur le papier, le postulat n’aurait pu être pleinement exploité que sous la forme d’une mini-série d’une poignée d’épisodes et impliquait forcément quelques raccourcis narratifs dans un film de moins de deux heures (et même dans un comics de 80 pages). En découle de nombreux personnages à la psychologie bazardée, quelques incohérences plus ou moins gênantes et des ellipses narratives qui donnent parfois le sentiment de survoler ces 30 jours nocturnes et empêchent la pleine immersion du spectateur.
Ces quelques scories ne suffisent pourtant pas à occulter la relative réussite de cette adaptation, portée par l’excellent travail de son réalisateur et la qualité de sa distribution. Si Josh Hartnett faisait ici preuve de plus de charisme qu’à l’accoutumée (l’échec du film condamna hélas l’acteur à une longue traversée du désert), la talentueuse Melissa George restait égale à elle-même quand Ben Foster et Danny Huston excellaient l’un et l’autre dans leurs rôles respectifs de grands salauds. Véritable concentré de noirceur et de cruauté, 30 jours de nuit reste un excellent survival fantastique, particulièrement représentatif des codes horrifiques de son époque et fidèle au comic qu’il adapte. Une suite dtv, 30 jours de nuit 2 : Jours sombres, adaptée du second tome des comics, en fut tirée mais sans garder aucun acteur du premier opus. Depuis plus personne n’est revenu traîner ses guêtres dans les rues dépeuplées de Barrow. A l’écran tout du moins.