Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les comics prenant pour seule unité de lieu le sordide asile d’Arkham ne sont pas légion. C’est à peine si s’y sont penchés des auteurs comme Alan Grant (The Last Arkham) ou Sam Kieth (Arkham Asylum Madness). Il faut dire qu’il reste difficile de passer après l’excellence formelle et narrative du roman graphique Arkham Asylum : A Serious House on Serious Earth de Grant Morrison et Dave McKean. Dan Slott et son dessinateur Ryan Sook n’en ont d’ailleurs pas eu la prétention en livrant cet Arkham Asylum : Living Hell et ont préféré opter pour une maxi-série en six épisodes, essentiellement centrée sur le calvaire vécu par le dénommé Warren White, sorte de Kerviel illustré, un courtier aussi arrogant que richissime qui, après s’être rendu coupable de détournements de millions de dollars de capitaux, aura eu la très mauvaise idée de plaider la démence lors de son procès. Ce qui a tôt fait de l’emmener dans la plus sinistre bâtisse des environs de Gotham, hébergeant nombres de malades criminels dont plusieurs des némésis favorites du chevalier noir. Lequel se contente ici de quelques maigres apparitions et n’influe finalement que très peu sur les événements (une vitre brisée et un constat à l’amiable seront à ajouter à son crédit).

Non, tout l’intérêt de cette intrigue est qu’elle privilégie les trajectoires tourmentées des habitués d’Arkham, pensionnaires comme professionnels, et redéfinit du même coup la mythologie traditionnelle de ce haut-lieu de la démence. La détresse de White et sa descente progressive dans la folie devient ainsi pour le lecteur, méchamment enjoué, l’occasion de croiser bon nombre de figures connues du Batverse, de Two Faces et sa dualité intrinsèque à Killer Croc et son appétit cannibale en passant bien sûr par le Joker, toujours fidèle à lui-même, qui ne trouve par exemple rien de mieux que de profiter d’une liberté temporaire pour ouvrir le bottin et se décider à tuer toute personne dont le nom est un palindrome (et comme on le sait, ce clown là n’a qu’une parole). Toute une série d’antagonistes emblématiques qui pourtant, à l’image de leur ennemi commun, se contentent de rester au second plan, l’intrigue donnant plutôt la vedette, outre White, à des personnages sinon totalement inédits, au moins déjà croisés dans des arcs antérieurs mais bien moins connus comme ce bon vieux docteur Jeremiah Arkham, le gardien-chef Moss ou encore la tueuse en série anonyme Jane Doe. Warren White lui-même n’est en fait qu’un des futurs grands tarés du tout Arkham, plus connu des fans sous le sobriquet de Grand requin blanc et déjà croisé dans des histoires antérieures.

Une galerie de personnages aussi sinistres que haut-en-couleurs, réunis dans une intrigue à tiroirs qui s’achemine finalement vers un climax quelque peu inattendu et dont on appréciera plus ou moins les débordements horrifiques et surnaturels. Un final clairement décevant au regard des nombreux développements possibles que pouvait imaginer le scénariste, lequel préfère faire basculer son intrigue dans un fantastique ésotérique des plus déconcertants, et pourtant largement annoncé dans le prologue (j’ai toujours été contre l’intégration d’éléments trop “surnaturels” dans l’univers de Batman). Une résolution qui pourra séduire ou décevoir les puristes mais qui n’altère que peu la qualité de l’ensemble et le plaisir de la lecture. D’autant que les illustrations de Ryan Sook s’avèrent particulièrement remarquables, le dessinateur excellant à retranscrire la noirceur du récit imaginé par Dan Slott, non sans y apporter une palette chromatique parfois déconcertante (le récit revenant sur la vie misérable de Humphy Dumpty, tout en couleurs et dessins chaleureux dignes d’un Don Rosa, accentue pour beaucoup la folie de celui qui le raconte).

Loin d’être aussi viscéral et dérangeant que L’Asile d’Arkham vu par Morrison et McKean, Les Patients d’Arkham s’avère être au final une remarquable maxi-série, proposant un regard nouveau sur la bâtisse la plus sordide du Batverse et sur les monstres, humains ou non, qui n’ont pas finit de la hanter.

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