Super-héros méconnu de l’écurie Marvel, pourtant créé en 1966 par Stan Lee et Jack Kirby, Black Panther s’était vu faire une arrivée remarquée sur grand écran en chipant la vedette à tous les autres héros de la clique avengeresque dans le très bon cross-over Captain America : Civil War sorti en 2016. Conscient de l’immédiate popularité du personnage et de son énorme potentiel à l’écran, Kevin Feige ne s’est pas fait prier très longtemps pour consacrer un long-métrage solo au prince T’Challa et à son alter-ego masqué, sorte de Batman félin aux pouvoirs surhumains. C’est le talentueux Ryan Coogler, déjà réalisateur de l’excellent Creed, qui eut la charge de réaliser ce 18ème film du MCU. L’occasion pour lui de changer totalement de registre par rapport à son précédent long-métrage et de s’affirmer comme un artisan fiable, aussi à l’aise dans le drame social et sportif que dans le pur divertissement.
L’intrigue de Black Panther fait suite aux événements relatés dans Civil War. Après la mort de son père durant l’attentat fomenté par Zemo aux nations unies, T’Challa doit accepter la lourde responsabilité de diriger le royaume du Wakanda, un pays imaginaire d’Afrique continentale, dont les richesses intarissables (le fameux vibranium) et les avancées scientifiques et technologiques en font un véritable Eldorado moderne. Invisible et inconnu de toutes les autres nations, le Wakanda conserve une politique étrangère neutre et favorise la croissance et les traditions de son propre royaume. L’arrivée de T’Challa au pouvoir pourrait signifier une continuité dans cette politique traditionnelle ou au contraire une ouverture du pays sur la scène internationale. Faisant difficilement le deuil de son père, T’Challa passe les rites de succession avec succès et accède facilement au trône. Mais un mercenaire américain d’origine wakandaise vient rapidement troubler le début de règne de T’Challa en réclamant le trône et en provoquant le jeune roi en combat singulier…
Carton surprise Marvel de l’année (il a dépassé le milliard de recettes), devançant de peu la sortie d’Infinity War, Black Panther ne brille ni pour le charisme de son acteur principal (Chadwick Boseman n’apporte aucune réelle singularité à son personnage), ni pour l’originalité de son scénario, celui-ci accumulant les passages obligés jusqu’à en devenir prévisible de bout en bout. Le réalisateur misera plutôt sur la diversité de ses protagonistes, proposant une première partie rythmée par la traque du volubile Ulysses Klaw (un Andy Serkys jokeresque, déjà présent dans L’Ere d’Ultron), après ses crimes contre le Wakanda. Une manière de suivre du coin de l’oeil l’évolution d’un autre bad guy, Killmonger, incarné par Michael B. Jordan, acteur fétiche du réalisateur depuis ses débuts dans Fruitvale Station. Véritable némésis de T’Challa, Killmonger apparaît rapidement comme un concentré de haine et la résultante d’une jeunesse miséreuse passée dans les ghettos d’Oakland. La confrontation entre les deux personnages, tout à fait logique dans son développement, reste assez classique, il s’agit encore là de décrire les difficultés d’un héros confirmé mis à mal par l’arrivée d’un adversaire motivé par la colère et le surpassant en tout point (voir The Dark Knight Rises ou même Rocky 3). Ce manque flagrant d’originalité se verra néanmoins contrebalancé par l’ambiguïté toute relative d’un antagoniste moins con qu’il n’y parait, auquel certains spectateurs pourront sinon s’identifier, au moins comprendre les raisons.
L’essentiel des super-héros du panorama cinématographique actuel étant représentés par des “blancs américains”, il est assez réjouissant de voir un casting à 98% black tenir le haut de l’affiche d’une production de cette envergure. On assiste ici à une véritable inversion des représentations raciales au sein d’une grosse production hollywoodienne, chose tellement rare encore aujourd’hui qu’elle mérite amplement d’être soulignée. Il est néanmoins judicieux de se demander si cette avancée progressiste ne cache pas de simples intérêts marketings motivant un studio dont les nombreuses icônes “blanches” continuent peut-être de limiter l’identification de toute une partie du public (War machine et Faucon restent de simples faire-valoir au sein du MCU).
A côté de ça, le film de Coogler met très vite en avant des personnages de femmes guerrières, très loin des sempiternelles héroïnes en détresse. Cette place faite aux femmes d’action, tout à fait louable à l’aune d’un paysage cinématographique débordant toujours autant d’archétypes virils, s’il a tout à fait enthousiasmé la presse féministe (tout comme Wonder Woman quelques mois auparavant), n’a pourtant rien d’innovant, bon nombre d’autres oeuvres fantastiques aux arguments féministes étant passés par là depuis belle lurette (Les prédateurs, Aliens, Alien 3, Ghost in the shell, The Descent, Triangle, Fury Road…). Il s’agit de ne pas les oublier et de rester assez objectif pour ne pas encenser plus que de raison les qualités soit-disant féministes d’une intrigue qui place tous ses protagonistes au service d’un régime patriarcal. D’autant que le scénario cédera de manière attendue au manichéisme viril (voir la bataille finale entre hommes et femmes), plongeant alors tout le sous-texte féministe de son film dans la caricature outrancière. Ce qui ne sera pas atténué par sa vision manichéenne de la population blanche, le film opposant simplement dans cette optique la méchanceté crasse d’un Ulysses Klaw (trafiquant d’armes et raciste) à la naïve loyauté de l’agent Ross (chef de la CIA intègre, ancien pilote d’élite).
Ceci cependant n’empêche pas d’apprécier un spectacle très généreux, débordant d’humour et d’inventivité. La Panthère noire s’étant surtout faite remarquer dans Civil War pour ses formidables aptitudes de combat (voir les deux énormes scènes d’action qui lui sont consacrées dans le-dit film), Coogler lui donne à nouveau ici l’occasion de briller à l’écran, surtout en début de métrage, par le biais de quelques scènes d’action bien orchestrées. Revendiquant une étrange filiation avec James Bond, le film multiplie aussi les clins d’oeil au plus illustre espion de Sa Majesté (la petite soeur de T’Challa en consultante technologique, les différents gadgets qu’elle fournit au héros, la séquence dans la boite de nuit ultra-select en Corée rappelant celle du casino dans Skyfall, la bataille finale évoquant celle d’Octopussy, le générique final très soigné en forme d’hommage à ceux de Maurice Binder). A tout cela s’ajoute le très bon travail fait avec la photographie, Coogler baignant son film dans une diversité de couleurs chatoyantes qui donne au Wakanda des allures de pays onirique à la frontière des mondes et des époques. Un effet qui reste malgré tout à double tranchant : la profusion d’effets numériques et d’incrustations sur fonds verts révélant déjà ses limites, le film, bien que très esthétique aujourd’hui, a hélas de fortes chances de ne pas survivre aux revisionnage dans quelques années.
Bref, Black Panther se regarde avec plaisir pour ce qu’il est, un honnête divertissement bourré de scories mais plein de bonne volonté dans sa manière de bousculer un peu les archétypes du genre et de proposer un message pacifiste. A voir sans espérer quoique ce soit de plus qu’un bon film de genre et l’occasion de séjourner deux petites heures durant au royaume méconnu du Wakanda.