C’est toujours la même chose, à peine les premières notes du générique emblématique de Star Wars retentissent que j’ai le coeur qui s’emballe. Parti en exil quelques mois sur Dagobah, j’ai quelque peu tardé à découvrir ce neuvième opus. C’est d’ailleurs bien un miracle d’avoir réussi à ne pas (trop…) me le faire spoiler là où j’étais (pas de wi-fi chez mon poto Yoda). Déjà rien que le titre Les derniers Jedi laisse entrevoir un certain bouleversement dans la mythologie. Parle-t-on vraiment ici de la fin des Jedi comme il en était déjà question dans les épisodes 3 et 4 ? Ou s’agit-t-il simplement de mettre à nouveau en avant un nouvel espoir en la personne de Rey ?

Le précédent film se concluait sur la rencontre de la jeune femme et de Luke Skywalker. Une manière d’annoncer un nouveau binôme maître-disciple dans la droite lignée du duo Luke-Yoda de L’Empire contre-attaque. L’ancien disciple se retrouve donc ici a priori dans le rôle tenu autrefois par son maître, à ceci près que… Luke a perdu la foi. Hanté par son échec et le basculement de son neveu dans le côté obscur, le fils d’Anakin se ferme à la Force et condamne tout son savoir au néant. Il faut l’entendre parler si durement de lui et de ses prédécesseurs et le voir fuir ses responsabilités pour comprendre que le bougre n’a plus l’étoffe d’un héros. Et pourtant Skywalker reste légendaire. Son retour au sein de la Rébellion permettrait à la galaxie de retrouver l’espoir, d’autant que les rangs de la résistance s’amenuisent de jour en jour face aux assauts répétés des forces ennemies. Alors que le Premier Ordre lance une offensive massive sur les rebelles, Rey tente vainement de convaincre Luke de les aider, avant d’être elle-même déchirée par son devoir et ses sentiments naissants pour son adversaire. En effet, Kylo Renn n’a pas oublié sa défaite et, obsédé par l’idée de retrouver Rey, finit par établir une connexion avec elle à travers l’espace. Il fera alors tout pour l’inciter à le rejoindre du côté obscur de la Force…

Signé par J.J. Abrams, Le Réveil de la Force avait clairement divisé les fans de l’univers créé par George Lucas. Certains se réjouissaient de retrouver presque intacte toute l’ambiance de la première trilogie Star Wars via un script qui piochait sans scrupules son intrigue dans celle de l’opus originel (au point d’en devenir un quasi copier-coller), quand d’autres regrettaient logiquement que la franchise ne raconte rien de nouveau. Sans trop savoir comment initier cette nouvelle trilogie, Abrams et son scénariste (Lawrence Kasdan, déjà co-scénariste des scripts des opus 5 et 6) avaient choisi quelque peu la solution de facilité en dupliquant une intrigue qui parlerait aux fans, prenant ainsi le risque de voir critiquer leur manque flagrant d’audace. Il semblait dès lors absolument impossible pour Rian Johnson, en charge de l’écriture et de la réalisation de ce dernier opus, de nous refaire le même coup en proposant un Empire contre-attaque bis.

Connaissant un peu le gonze et ses remarquables compétences de scénariste (Looper était déjà un sacré tour de force narratif et Johnson fut aussi responsable de trois des meilleurs épisodes de Breaking Bad), je n’avais pas beaucoup de mal à croire qu’il saurait proposer quelque-chose de nouveau. Et c’est bien ce qu’il a fait. Les derniers Jedi offre enfin aux fans la possibilité de voir la mythologie de la saga évoluer vers autre chose. Pourtant le scénario de celui-ci reste très déférent aux événements de L’Empire contre-attaque, c’en est en fait là aussi une relecture : on nous parle ici d’une Rébellion en difficulté, fuyant l’assaut d’un Premier ordre déterminé à en finir; d’une jeune apprentie suivant les leçons d’un vieil ermite dans un endroit perdu avant qu’elle s’impatiente et qu’elle parte prématurément affronter son ennemi; d’une bande de rebelles trahis par un de leurs alliés qui n’hésite pas à les livrer aux mains de l’ennemi; et de l’invitation lancée par le méchant à venir le rejoindre pour régner sur la galaxie. Le final lui-même sur les terres gelées de Crait reste un énorme clin d’oeil à la mythique bataille de Hoth qui permet aussi au cinéaste de renforcer une dernière fois la dualité chromatique de son film (le rouge sang baignant l’essentiel des séquences charnières de cet opus).

Mais ces quelques emprunts, loin de révéler une quelconque facilité narrative, ne font en fait que servir l’originalité d’un script regorgeant de trouvailles et de parti-pris audacieux. Prenant systématiquement le contre-pied des attentes, Johnson contredit ainsi l’aura salvatrice de Luke, LE dernier des siens, et ose désacraliser le mythe Jedi par le biais du point de vue désabusé du vieil ermite. L’intervention fantomatique d’un des personnages emblématiques de la saga, en plus de contenter les fans, servira surtout ici à appuyer le propos de Johnson : il est temps de passer à autre chose. Et le réalisateur n’attend pas longtemps pour se le permettre en offrant aux détenteurs de la Force des pouvoirs totalement inédits qui auront évidemment fait jaser de nombreux fans. Le long dialogue à distance qui s’installe entre les personnages de Rey et de Kylo résulte ainsi d’une faculté que semblaient déjà détenir les Jedi sans parvenir à pleinement l’exploiter. C’est aussi et surtout un beau ressort scénaristique qui resserre encore plus le lien unissant les deux personnages, Johnson en profitant pour booster sa mise en scène par une succession de champs-contrechamps particulièrement bien imaginés pour illustrer leurs conversations.

Redoublant d’audace, le réalisateur n’hésitera pas ensuite à balayer d’une simple réplique les trop grandes attentes des fans sur l’identité des parents de Rey (véritable fardeau scénaristique, qui avait un peu trop enflammé la toile) et nous bousculer dans nos certitudes en sacrifiant prématurément le personnage de Snoke. Sorte de clone de Palpatine, le mystérieux chef du Premier Ordre se voit balayé de l’équation afin de faciliter l’affranchissement total du récit au profit de toutes nouvelles perspectives narratives, sa mort servant surtout à renforcer la trajectoire dramatique de Kylo Renn (qui pour l’instant reste le principal antagoniste de cette trilogie). Dès lors, Les derniers Jedi s’achemine vers un dernier acte en forme de course contre la montre désespérée où les factions rebelles survivantes, terrées dans un bunker de la dernière chance et résignées à la défaite, subissent au sol un ultime assaut des forces du Premier Ordre. La fin de l’intrigue laissera bien sûr apparaître un ultime espoir quand le vieux Jedi sortira finalement de son exil pour faire face à ses responsabilités et affronter celui qui reste l’incarnation-même de son échec. On comprendra alors que ce baroud d’honneur n’est pas du tout une tentative de Luke pour faire revenir un membre de sa famille du bon côté de la Force, comme cela avait été le cas avec son père… Qu’importe, voir le célèbre héros aller à lui seul au devant d’une armée de gigantesques quadripodes reste un pur moment d’anthologie tant il retranscrit à merveille la puissance iconique des Jedi et rend un vibrant hommage au personnage. Le tout s’achèvera alors comme un cycle éternel et l’espoir renaîtra avec la révélation des pouvoirs d’un jeune esclave qui lui aussi, garde la tête dans les étoiles.

Bien plus audacieux et créatif que ne l’était J.J. Abrams, Rian Johnson rivalise d’ingéniosité pour livrer là ce qui semble être une véritable transition à la saga, en plus d’un spectacle étonnant, très loin de ce qui avait déjà été fait. Conscient de la portée dramatique de son intrigue, le réalisateur sait aérer son film de petites touches d’humour parfois un peu trop appuyées (le fer à repasser) mais qui font souvent mouche (on se souviendra de cette simple mouche dans Breaking Bad). Il se permet même, au détour d’une séquence (celle se déroulant sur Canto Bight), de livrer une critique de la course aux armements et du profit qu’en tire certaines nations. Non dénué de scories (le rythme du film est parfois trop précipité et empêche de s’attarder sur les très beaux décors), le film s’est surtout vu critiqué pour quelques-uns de ses parti-pris vis-à-vis de la mythologie qu’il reprend. Mais il ne méritait certainement pas toute la polémique dont il a été l’objet à sa sortie, certains fans n’hésitant alors pas à demander son retrait de la chronologie officielle (mais pourquoi ne l’ont-ils pas demandé pour La Menace fantôme ??). Le pauvre Johnson a donc dû passer des semaines à justifier ses choix narratifs à des légions de fanatiques vénères qui n’acceptaient pas le fait qu’il ait pris autant de libertés avec la sacro-sainte évangile de Saint Georges. Moi je lui saurais simplement gré de nous préparer quelque-chose de totalement inédit avec la prochaine trilogie Star Wars dont Disney lui a confié l’écriture et la charge. Reste à souhaiter qu’Abrams en prenne de la graine pour conclure comme il se doit la longue saga des Skywalker.

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