Pitch Black est de ces films de genre dont il aurait été bien difficile à l’époque de prédire l’importance près de vingt ans plus tard. Sorti au tout début des années 2000, le survival spatial de David Twohy succédait ainsi à une floppée de films du même genre, tous plus ou moins décalqués sur les approches tantôt claustro (Alien) tantôt rentre dans le lard (Aliens) expérimentées sur la même franchise. Une franchise qui semblait alors s’être essouflée pour de bon au terme d’une Resurrection dispensable, ouvrant la voie à toute sorte d’ersatz horrifiques.

Il faudrait d’ailleurs revenir à la fin des années 80 pour tenter d’expliquer l’existence de Pitch Black et la création de son illustre anti-héros Richard B.Riddick. Après Aliens, la mise en chantier du troisième opus de la franchise Alien s’embourba dans un development hell tel que pas moins de trois réalisateurs et quatre scénaristes planchèrent à tour de rôle sur l’écriture et la pré-production du mastodonte. Parmi les scénaristes envisagés, un certain David Twohy proposa un traitement excluant d’emblée le personnage de Ripley pour prendre pour “héros” un bagnard de l’espace, enfermé dans un pénitencier où la Compagnie procédait à des expériences horribles sur les pensionnaires de l’endroit. Désireux de ne pas finir comme mère porteuse, le héros (au crâne tondu) finissait par s’évader avec quelques-uns de ses co-détenus, dans une navette de secours, non sans trimbaler dans leur soute un hybride alien particulièrement agressif. Parfaitement ancré dans l’univers de la franchise, cette intrigue ne réussit pourtant pas à convaincre les pontes de la Brandywine, notamment à cause du retour de Sigourney Weaver dans la course (l’actrice ayant un temps refusé à reprendre le rôle de Ripley). Si David Twohy fut remercié, son scénario ne fut pas totalement jeté aux orties, plusieurs de ses idées les plus originales servant par la suite à nourrir les intrigues d’Alien 3 (le pénitencier de l’espace, les pensionnaires aux crânes tondus) et Alien Resurrection (le climax du film est un copié-collé de celui écrit par Twohy). On peut donc facilement imaginer le mécontentement du scénariste et sa volonté d’opposer à la franchise Alien alors déclinante, sa propre vision du space opera horrifique à travers ce ***Texte en gras***Pitch Black, première chronique ciné du fameux nyctalope.

Percuté par une météorite, un vaisseau spatial transportant une quarantaine de voyageurs en état de stase s’y crashe sur une planète inconnue. Les rares survivants de l’accident , parmi lesquels la co-pilote du vaisseau, un antiquaire, un imam et ses fils, un ado débrouillard, un chasseur de primes et son prisonnier, tentent d’organiser leur survie sur cet astre éclairé par trois soleils et où la nuit ne tombe à priori jamais. A priori seulement, car les rescapés découvrent très vite qu’une éclipse va bientôt avoir lieu, permettant alors à des nuées de créatures sous-terraines et noctambules de remonter à la surface.

A priori, Pitch Black ne se distingue pourtant pas vraiment des films du même genre. Et pourtant, les atouts de ce premier opus suffisent à le distinguer des nombreux ersatz d’Alien (LeviathanLa galaxie de la terreurContaminationMimicRelic, etc…) qui ont saturés les écrans depuis près de quarante ans. Pourtant, dès son exposition, Twohy injecte à son film de SF une ambiance particulière, décuplée par des parti-pris esthétiques remarquables. Sa réalisation se pare ainsi d’une photographie à la palette chromatique variée, déterminée par l’usage de filtres différents pour figurer le passage du temps sur cette planète morte. En découle une ambiance futuriste inédite, qui oppose au minimalisme du contexte (on ne savait alors rien de l’univers futuriste des Chroniques) l’ampleur d’un monde inhospitalier au paysage désertique, uniquement composé de roches monumentales et de carcasses d’animaux inconnus.

Si l’on ne retrouve finalement dans Pitch Black que très peu d’idées du traitement refusé par Twohy pour Alien 3 (droits oblige), impossible toutefois de ne pas voir en son protagoniste-vedette une résurgence du personnage principal de ce script perdu. Calqué sur le modèle de l’anti-héros propre au western spaghetti (Blondin, Harmonica), au film de SF (Snake Plissken) et au post-apo (Mad Max), Richard B.Riddick succédait ainsi à une foule d’archétypes du cinéma de genre, empruntant ici leur attitude solitaire et individualiste tout en proposant des caractéristiques jusqu’alors inédites qui se prêtent parfaitement au contexte survivaliste de l’intrigue. Tout d’abord présenté comme un potentiel antagoniste, le hors-la-loi devient contre toute attente la seule chance de survie des autres personnages, sa particularité nyctalope et ses redoutables capacités de survie devenant un atout non négligeable face à la nature de la menace planétaire qui pèse sur eux. Cerné par les ténèbres et les créatures qu’elles abritent, les survivants n’ont plus qu’à se fier aux yeux de cet improbable leader, par ailleurs tout aussi redoutable que les monstres auxquels il dispute l’obscurité.

Evidemment, il faudrait être aussi aveugle que les créatures du film de Twohy pour ne pas voir en celles-ci de lointains cousins aux xénomorphes tant leur design effilé et quelque peu dérangeant rappelle pour beaucoup l’oeuvre de Giger. Imaginées et conçues par Patrick Tatopoulos, les vilaines bébêtes, en plus de tendre un miroir certain à la nature prédatrice de Riddick, ne servent ici finalement qu’à révéler le caractère véritable de chacun des protagonistes. Bien conscient des nombreuses similitudes de son intrigue avec les parangons de Ridley Scott et de James Cameron, Twohy se consacre alors moins à la dimension survivaliste de son film (laquelle conditionnera toute la dernière partie du film) qu’à la psychologie de chacun de ses personnages principaux. Pitch Black se détourne ainsi de tous les autres films du genre en questionnant la part d’humanité de protagonistes foncièrement individualistes, uniquement préoccupés par leur propre survie. Brouillant malicieusement la frontière entre le Bien et le Mal, Twohy injecte suffisamment d’ambiguïté dans ses personnages pour bouleverser les repères du spectateur. Il fait ainsi de son anti-héros une menace diffuse pesant sur l’essentiel des rescapés, les surveillant à leur insu comme un prédateur observe ses proies. Dans cette optique, le récit oppose à Riddick le personnage de Johns, un prétendu représentant de la loi, seul à même de pouvoir affronter le psychopathe et garantir la sécurité des rescapés. Ceci avant de révéler que ce personnage à priori rassurant n’est finalement qu’un chasseur de primes, doublé d’un incurable junkie, camé jusqu’à la rétine. Moins bienveillant qu’il en a l’air, Johns tentera ensuite de passer un pacte avec le hors-la-loi, lequel révélera finalement plus d’humanité que son geôlier en refusant de sacrifier les plus faibles sur la seule garantie de sa survie. A ces deux personnages profondément individualistes répond celui de Carolyn Fry (Radha Mitchell), personnage hautement ambigu cachant aux autres rescapés qu’elle a tenté de les sacrifier en voulant détacher leur compartiment du vaisseau pour amortir le crash. Déterminée à survivre coûte que coûte, Fry subira une évolution radicale au cours du récit, son sens moral étant en bout de course mis à rude épreuve (et s’oppose même à l’égoïsme de l’imam qui se refuse à secourir un criminel) pour ouvrir sur une rédemption finale assez inattendue, tant pour le spectateur que pour Riddick lui-même.

Malin et très loin de se contenter de suivre les sentiers balisés par les chef d’oeuvres de Scott et Cameron, Twohy ne sacrifie jamais au spectaculaire la psychologie de ses personnages mais n’en oublie pas pour autant de livrer des scènes de tension insoutenables, induites par l’émergence des créatures dès l’aplat des ténèbres (la procession des survivants dans l’obscurité). Et si Pitch Black n’échappe pas dans sa dernière partie au traditionnel jeu de massacre de ce type de monster movie, la longue mise en place qui l’a précédé, l’intelligence de son traitement et l’efficacité de la mise en scène en font plus qu’une pâle copie des chef d’oeuvre sus-cités, un véritable classique du genre.

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