Connu pour son style hautement singulier (et son égocentrisme horripilant), convoquant les influences les plus variées, de Lynch à Kubrick en passant par Kitano, Jodorowsky et Michael Mann, Refn est de ces réalisateurs irréductibles dont l’intégrité artistique n’a d’égale que la volonté de prendre continuellement le contre-pied des attentes de son public. Avec Drive, son premier film en terre américaine, Refn faisait fi de tout compromis artistique pour composer un polar lent et contemplatif dont la mélancolie latente imprègne chaque photogramme d’une splendeur lancinante. On y suit un jeune homme anonyme, mécanicien et cascadeur de son état, qui arrondit grassement ses fins de mois en servant de chauffeur à des membres de la pègre californienne. Une série de rencontres et d’événements vont le conduire à sortir de l’ombre pour défendre la veuve et l’orphelin.

Ponctué de sursauts de violence impitoyables, débarrassé de la moindre ligne de dialogue superflue, le scénario de Drive, probablement écrit sur un timbre poste (et librement adapté du roman éponyme de James Sallis), nous déroule à un faux rythme une romance quasi-silencieuse doublée d’une intrigue criminelle qui aurait très bien pu se vautrer dans la redondance si Refn ne magnifiait pas son métrage par des choix esthétiques et narratifs des plus remarquables dans le panorama hollywoodien moderne. Comme à son habitude, le cinéaste sait composer des plans d’une beauté à couper le souffle, jouant adroitement sur l’opposition des couleurs et sur un rythme contemplateur pour tirer son film vers un formalisme des plus somptueux (voir comment il sublime un baiser par un simple changement d’éclairage, ou même une balade le long d’un déversoir asséché). Bien sûr, on connait aujourd’hui la propension du cinéaste à livrer des oeuvres formellement sompteuses au détriment parfois de la recherche d’une intrigue au diapason (son film suivant, Only God forgives, véritable anti-Drive s’il en est, en témoignera à sa façon). De là à croire que Refn privilégie l’esthétisme de Drive à l’histoire qu’il y raconte, il n’y a qu’un pas qu’on serait presque tenté de franchir s’il n’avait pas l’idée de tout miser (une fois encore) sur la fascination qu’exerce son personnage principal.

Conscient du minimalisme de son intrigue, Refn a donc l’intelligence de décerner entièrement son film au mystère que représente son protagoniste. Un peu à la manière du guerrier silencieux dans Valhalla Rising, le “chauffeur” nous est présenté ici comme une sorte d’étranger (au sens camusien du terme), un personnage énigmatique et taciturne, sorte d’homme sans nom au cure-dent, dont le chemin finit par croiser celui de la belle Irène, une jeune mère esseulée, un peu paumée dans une vie qu’elle voudrait tout autre. En découle une histoire d’amour tout en subtilité et en regards révélateurs, qui se passe largement de la moindre déclaration enflammée, si ce n’est cet ardent baiser échangé lors de la scène charnière de l’ascenseur. Une idylle improbable mais sincère, bercée au son électro-pop de College youth et de Kazinski, et qui s’achemine doucement vers une fatalité à priori inexorable. Jusqu’à ces quatre derniers plans rédempteurs, lesquels auraient pu annoncer en leur temps la naissance d’un véritable héros, digne successeur moderne des Blondin, Max Rockatanski et consorts. D’autant qu’il existe une suite littéraire à ses aventures (Driven, toujours de Sallis et édité chez Rivages Noir) qu’il aurait certainement été possible de transposer aussi à l’écran.

On ne se plaindra pas cependant du fait que Drive reste un film isolé. Au sommet de son art, Refn livrait ici un classique instantané dont la réussite incontestable doit autant à la qualité de sa mise en scène qu’à une distribution irréprochable (Carey Mulligan, Bryan Cranston, Albert Brooks, Oscar Isaac) dominée de la tête et des épaules par l’interprétation habitée d’un Ryan Gosling dont la carrière décolla enfin pour ne plus jamais redescendre. Une authentique claque cinématographique, de celles qu’on reçoit rarement et dont on ne se lasse jamais de ressentir l’impact à chaque visionnage.

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