Hugh Jackman a dû en avoir marre. Marre de son personnage de mutant bourru, de sa coupe en V, des X-men plus ou moins bons et surtout des navets solo dédiés à son personnage. Marre de grogner, de ressusciter et de sortir les griffes tout simplement… Dix-sept ans qu’il a été l’incarnation de Wolverine à l’écran, un personnage de bd cultissime, arrivé comme un accident dans la vie de l’acteur australien et qui reste aujourd’hui indissociable de sa renommée. On a beau dire, cela n’est pas rien de se coltiner une telle pression pendant près de deux décennies. Et malgré l’extrême popularité de Jackman et de son alter-ego griffu, il fallait bien avouer qu’il devenait évident que plus les films de la franchise s’alignaient, plus le personnage sensément immortel gagnait de rides.

Ce qui aurait été grandement dommage pour la filmo de Jackman, c’est que le dernier film consacré à James Hewlett Logan soit une purge du même acabit que les deux premières bandes solo lui étant consacrées. X-men Origins était un navet bourré de clichés et d’idées sacrilèges (le Deadpool mutique) là où Le combat de l’immortel, pourtant déjà signé par James Mangold, n’était qu’une adaptation aseptisée de la première série de comics solo dédiée au personnage. Néanmoins, Mangold n’avait pas dit encore son dernier mot. Si son précédent opus avait toutes les caractéristiques du film d’exécutifs hollywoodiens, clignant avidement de l’oeil aux fans en manque de gentilles griffures, son dernier opus devait s’en éloigner radicalement pour mieux servir une mythologie à bout de souffle. Exit donc les scénaristes sans ambition, le cinéaste reviendrait pour l’occasion à ce qu’il sait faire de mieux, à savoir écrire les grandes lignes du film qu’il comptait mettre en images. Tout le problème étant alors non pas de poursuivre les aventures de Logan à l’écran mais plutôt de dire adieu à sa première incarnation… D’autant que c’est dans un paysage cinématographique en plein renouvellement de comic movies (la récupération des droits de Spiderman par Marvel, l’émergence du DCU, la fin de la trilogie First Class), que son film devait venir s’inscrire comme une sorte de conclusion “de transition”, tournant le dos à deux décennies de X-men ciné tout en ouvrant la voie à une nouvelle génération de mutants (ce que proposait déjà de faire le très inégal X-men Apocalypse un an auparavant).

Et quel meilleur support pour dire adieu à Wolvie que l’arc Old Man Logan, paru dans les années 90. Ecrit et dessiné par le duo Millar-McNiven, le comics proposait déjà l’idée d’un Logan vieillissant et endeuillé, livrant son dernier combat dans un monde post-apocalyptique bourré de références à la mythologie Marvel (l’adversaire final de Logan n’y est autre que Bruce “Hulk” Banner). Une idée de départ exaltante à traiter à l’écran même si elle nécessitait forcément un traitement plus sobre, dramatique et réaliste, compatible avec la trajectoire cinématographique de ce bon vieux Serval. Un traitement déjà largement éventé par le formidable premier trailer aux airs de spleen mélancolique, bercé par la voix éraillée de Johnny Cash dont la touchante complainte accompagnait à merveille les images du film.

Au-delà du fait que cette bande-annonce nous résumait déjà les 3/4 de l’intrigue, la découverte du film elle, n’en est pas moins grandiose et surprenante. Loin de sa splendeur d’antan, Wolverine n’est ici plus que Logan, un mutant moribond, fatigué de son existence interminable. Un super-héros qui a trop combattu, trop haï, trop aimé, et qui appréhende désormais l’idée de sa vulnérabilité et de sa mort prochaine. Reconverti en chauffeur de maîtres, il la joue donc profil bas, traînant sa dégaine fatiguée en plein futur immédiat, dans une Amérique déliquescente, où se côtoie la misère humaine (celle des immigrants sans papiers) et la bêtise d’une élite livrée aux fêtes débauchardes (voir comment Logan y devient le larbin effacé de ces teufeurs(euses) imbibé(e)s du futur). Alors que les X-Men ne sont plus qu’un lointain souvenir, après qu’un fléau indéterminé se soit abattu sur les mutants, Logan s’occupe dans le plus grand secret de Charles Xavier, désormais en proie à des accès de démence et cloîtré dans un dépôt désaffecté à la frontière mexicaine. Sénile et impotent, le vieux mutant télépathe se révèle étonnamment bien loin du paternalisme rassurant qu’il inspirait dans les précédents films de la franchise. Il n’en est pas moins plus redouté qu’auparavant, tant par les autorités qui voient en lui une arme de destruction massive (après des événements qui expliquent en partie le contexte global du film) que par son loyal protecteur, qui n’a de souci que de préserver l’ancien professeur X de son pouvoir et de ceux qui sont à ses trousses. L’arrivée de la petite Laura (Dafne Keen, grande révélation du film) dans leur vie va venir bouleverser la retraite des deux hommes, non seulement parce que la gamine traîne dans son sillage une horde de mercenaires assez coriaces, mais aussi parce qu’elle se révèle être une mutante aux capacités de régénération et de combats en tous points semblables à Logan. Leur rencontre va alors initier une cavale désespérée à travers les Etats-unis pour gagner un Eden mythologique auquel Logan est bien le seul à ne pas croire…

Bon, vous me direz, les histoires de fuite en avant à travers les Etats-unis, on en a aujourd’hui plein les médiathèques. En quoi Logan diffère-t-il de ce qui a déjà été fait dans le genre ? Et je vous répondrai qu’il s’agit ici d’un film de super-héros. Mais pas n’importe lequel. La grande idée du film est de réduire sensiblement les effectifs mutants pour convoquer deux des personnages les plus appréciés de la franchise et les présenter sous un jour inédit. Plus humains et donc plus fragilisés qu’à l’accoutumée, Logan et Xavier ne sont ici plus que des héros déchus, tournant le dos à leur gloire passée et dépérissant dans l’attente d’une possible rédemption. Mais là où Xavier reste en quête d’un espoir, Logan lui s’est depuis longtemps résigné à son sort. Car il est un fait avéré pour toute chose en ce bas monde, rien, absolument rien, n’est éternel, pas même le plus solide des immortels. Pour la dernière incarnation de leurs personnages respectifs, Jackman et Stewart livrent le meilleur de leur jeu d’acteur. Littéralement habité par son personnage, Hugh Jackman prend à coeur de déconstruire le mythe qu’il a contribué à forger à l’écran en jouant sur l’humanité retrouvée d’un personnage à bout de course. Face à lui, Patrick Stewart, toujours aussi impérial, injecte suffisamment de détails à son personnage pour lui permettre de vivre bien plus que dans les précédents films. Voir le vieil homme s’éveiller au souvenir douloureux de sa propre culpabilité, juste avant de se confronter à l’image inversée d’un Logan impitoyable, reste assurément un des moments les plus marquants du métrage, voire de la franchise tout entière.
Aux côtés des deux hommes, Dafne Keen fait montre d’une étonnante maturité dans le rôle de la petite Laura, gamine mutique dont l’animalité renvoie à celle passée de son prédécesseur. A ce trio de mutants vient s’ajouter Caliban (Stephen Merchant, dans un rôle déjà aperçu au début de X-Men Apocalypse), sorte de Nosferatu albinos aux talents de médium, qui servira de trait d’union entre les intentions des héros et ceux de leurs poursuivants.

L’autre grande idée du script de Logan est de se désolidariser des aventures connues des X-men pour préférer à la surenchère super-héroïque et tape-à-l’oeil, un film clairement plus intimiste, qui puise tout autant dans la puissance émotionnelle d’un Children of men (pour le périple des héros et la symbolique christique) que dans l’esthétique minérale et dépressive de The Rover. En choisissant de projeter ses personnages dans un futur alternatif à court terme, le réalisateur réussit à s’affranchir du background un rien complexe de la franchise (Days of future past est passé par là) pour mieux privilégier une intrigue indépendante de tout ce qui a précédé. Soucieux de respecter ses principales influences, le réalisateur préfère jouer la carte de la sobriété narrative et visuelle, et débarrasse ainsi son film du moindre artifice futuriste qui pourrait trop éloigner l’époque de l’intrigue de celle bien réelle du spectateur. Les quelques éléments SF (les capacités mutantes, les prothèses cybernétiques des hommes de Pierce) ne serviront qu’à nourrir l’aspect comic book movie d’un film qui arrive, comme The Dark knight et Watchmen avant lui, à se projeter bien au-delà du genre.

Bien sûr, cette dernière aventure n’est pas pour autant dénuée de défauts, ceux-ci étant principalement d’ordre scénaristique. L’intrigue du film reste ainsi très linéaire et quelque peu prévisible, tirée vers le bas par un antagonisme sans relief. L’agent Pierce par exemple avait tout pour devenir un méchant d’anthologie, le rôle revenant en plus au talentueux Boyd Holbrook (la série Narcos) qui fait ici pourtant tout pour épaissir les interventions de son personnage. Si le script le laisse vivre suffisamment dans les premières minutes pour en faire un sympathique salopard (la scène de ses retrouvailles avec Laura est vraiment jubilatoire), l’intrigue le relèguera hélas progressivement au second plan. Et ce n’est certainement pas son patron le Dr Rice (incarné par Richard E.Grant), pourtant véritable génocidaire, qui lui ravira sa place de pourriture en chef tant il apparait très peu à l’écran. Ni même un troisième antagoniste “surprise”, sorte d’Universal Soldier à la mode mutante, assez logique dans son apparition, mais qui n’est rien d’autre qu’un vulgaire ressort dramatique. Quant aux sbires de Pierce, leur bêtise suicidaire confirme qu’ils ne sont là que pour servir de chair à trancher à l’intention de la rage de Logan et de son héritière.

Mais qu’on ne se méprenne pas, ces quelques scories ne suffisent pas à entacher la qualité d’un métrage au final quasi-miraculeux. Les scènes d’anthologie s’y accumulent sans discontinuer, certaines empreintes d’une émotion tout bonnement phénoménale (le long monologue de Xavier) là où d’autres étonnent par leur déchaînement de cruauté proprement inhabituelle (la scène de la chambre d’hôtel, le massacre dans la ferme…). La violence, omni-présente, n’est pourtant jamais prise à la légère, chaque coup de griffes impliquant son lot de souffrance et de répercussions dramatiques, au-delà des effets gores qu’ils impliquent. On est ici très loin de la complaisance visuelle d’un Deadpool qui désamorçait sciemment sa cruauté visuelle par un humour noir bas du front et passe-partout. Un humour qui n’a évidemment pas lieu d’être ici.

Sombre, violent et touchant, remarquablement filmé et interprété, Logan sauve à lui-seul un triptyque jusque-là très décevant. Mieux encore, la dimension émotionnelle qui se dégage de l’ensemble arrive à porter le métrage à des hauteurs inattendues, propres à conquérir le coeur des spectateurs les plus exigeants. Et si il est aujourd’hui évident que le personnage n’a pas donné sa dernière entaille à l’écran, l’incarnation qu’en a donné Jackman, elle, n’a certainement pas fini de nous manquer.

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