Jim Carrey est un gars marrant. Le genre d’humoriste à la Courtemanche à faire rire tous les publics juste en alignant les grimaces les plus improbables. Il aura pourtant galéré pendant plus d’une décennie pour se faire connaître. Les 80’s furent pour lui une succession d’échecs (son éviction du Saturday Night Live) et de tâtonnements, de nanars (Vampire forever) et de troisièmes rôles oubliables (La dernière cible). Jusqu’en 1994 et le fameux Ace Ventura, première comédie burlesque à tendance SPA, vendue sur le seul nom du comique. Mais c’est surtout The Mask, sorti quelques mois plus tard, qui fit définitivement décoller sa carrière. En effet quoi de mieux qu’un comique grimaçant pour donner vie à un personnage au faciès surréaliste et surexpressif ? Enorme carton à sa sortie, The Mask conserve toujours, plus de vingt ans après une aura de film culte, particulièrement représentatif de son époque (les effets numériques étaient encore à leurs balbutiements) et probablement le plus célèbre de sa vedette. Mieux encore, le film de Russell devint si célèbre qu’il fit carrément oublier qu’il s’agissait à l’origine de l’adaptation d’une BD underground.

Créé à la fin des années 80 par le duo Mike Richardson-Doug Mahnke, le comic The Mask fit les beaux jours des éditions défuntes Dark Horse. Il se distingue notamment du film par son fond dramatique, sa violence débridée et sa galerie de personnages bien moins sympathique que celle du film. Son concept était simple, faire d’un masque tribal la source d’un pouvoir quasi illimité pour ceux qui le portent, les pulsions inassouvies de chacun se voyant ainsi concrétisées par l’apparition d’un alter-ego au faciès vert et rigolard, dont le sens de l’humour le disputait à des agissements cruels et revanchards. Idéal pour les scénaristes et dessinateurs qui ont alors pleinement tiré profit de ce postulat sans limites, opposant ainsi au fond sordide de leurs histoires les apparitions surréalistes d’un personnage fantasque et totalement imprévisible.

Bien sûr, il n’était qu’une question de temps avant que le cinéma ne s’empare d’une telle idée et c’est finalement la filiale cinéma de Dark Horse (associée à la New line) qui fut la première à transposer le comic à l’écran. Alors que Jack Sholder (La revanche de FreddyHidden) fut dans un premier temps approché, c’est finalement à Chuck Russell que fut confiée la réalisation du film. Russell à qui on devait déjà deux long-métrages horrifiques (et particulièrement graphiques dans leur approche) à succès des années 80 et qui contre toute attente se détourna de la violence hardcore du comic pour privilégier à l’écran un ton totalement burlesque. Son film il le pensa comme un hommage “live” aux cartoons d’antan, n’hésitant pas à reproduire à l’écran certains des gags les plus célèbres des oeuvres de Tex Avery et de Chuck Jones. Pour ce faire, il compta non seulement sur une superbe direction artistique et sur les progrès des sfx numériques (qui venaient de prendre un essor considérable avec Jurassic Park) mais aussi sur l’énorme potentiel comique de sa vedette, Jim Carrey (humoriste et danseur de formation) ayant à peine besoin de ses quelques coups de pouce numériques pour faire croire à l’élasticité surréaliste de son personnage. Le film multiplie ainsi les références à la culture populaire que le Mask se charge de s’approprier, empruntant autant aux mimiques du loup d’Avery (sa façon de marcher à pas feutrés, le fameux coup de foudre au cabaret) qu’à celles du diable de Tazmanie (sa façon de tournoyer sur lui-même lors de ses déplacements), sans oublier quelques citations cinéphiles (“Dis à Scarlett que ce n’est pas le cadet de mes soucis“) et des gags tirés du comic original (le ballon se changeant en sulfateuse, le duo de garagistes, le carnage dans le cabaret), aux chutes cependant ici bien moins sanglantes.

En résulte quelques scènes d’anthologies, désormais connues de tous, enfants comme adultes. De la scène des ballons (“Et voilà, une magnifique girafe !“) à la confrontation finale au Coco Bongo, en passant par l’hilarante fouille au corps dans le parc et la danse improvisée de Sancho avec une armée de flics, chacune de ces séquences demeure un sommet d’humour non-sensique, toujours aussi drôle 22 ans après la sortie du film. On pourra cependant (et à plus forte raison si on a lu le comic) râler contre cette approche “simplement” humoristique, qui sacrifie au burlesque et aux effets spéciaux le potentiel bien plus dramatique et dérangeant des comics originaux. Le Mask agissant comme un désinhibiteur des pulsions secrètes de son porteur, il est un peu dommage qu’il soit ici tombé entre les mains d’un petit employé de banque timide, fan de cartoons et sans le moindre fond de cruauté.

Le film de Russell n’en reste pas moins une comédie fantastique incontournable que l’on se plait toujours à revoir aujourd’hui. Après ce film, le personnage “radouci” du Mask fut décliné en série d’animation et en comics pour enfant (restait encore quelques cross-overs particulièrement gratinés jusqu’à la fin des 90’s). Une suite indigente et opportune vit même le jour, incapable de renouer avec la virtuosité burlesque du film de Russell. Jim Carrey lui, ne revint jamais sur le personnage qui l’aura rendu célèbre à travers le monde, pas même lorsque sa carrière tomba au creux de la vague. Peut-être une façon de tourner la page et d’épargner du possible échec d’une suite, l’aura cultissime d’un opus intouchable s’adressant désormais aux enfants comme aux parents.

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