Quelque-part en Amérique. Dans une chambre d’hôtel, deux hommes lourdement armés, Roy et Lucas, s’apprêtent à prendre la route en pleine nuit, emmenant avec eux Alton, un enfant faisant l’objet d’une alerte enlèvement sur toutes les télévisions. Un jeune garçon aux particularités extraordinaires, considéré comme le messie par des fanatiques religieux et comme une menace par le FBI dont il décrypte sans le savoir toutes les fréquences. Commence pour les deux hommes et l’enfant une cavale dangereuse au terme de laquelle rien ne sera plus comme avant.

Jeff Nichols est de ces quelques cinéastes américains réfractaires au circuit hollywoodien dont on se plait à suivre le parcours cinématographique. En seulement trois long-métrages, il a su taper dans l’oeil de la critique et du public, créant une véritable attente pour la suite de sa filmo. En cela Midnight Special, son quatrième film, ne déçoit pas et révèle même déjà la pleine maturité d’un cinéaste ayant parfaitement digéré ses influences pour élaborer un cinéma personnel, hanté par ses propres obsessions.

Convoquant le spectateur dans un road movie étrange et taiseux dès ses premières images, Midnight Special fera tout d’abord penser au Starman de John Carpenter, une influence d’autant plus évidente dans les figures et les enjeux qui parcourent son scénario que dans la saveur agréablement rétro qui se dégage du score synthétique composé par David Wingo, compositeur attitré des films du réalisateur. Mais au-delà du film de Carpenter, on pensera incontournablement à la magie et à la relative simplicité qui imprégnait les premières oeuvres fantastiques de Spielberg (en particulier Rencontres du 3ème type et E.T.), l’effraction du spectaculaire en moins. Nichols se plait d’ailleurs à établir des passerelles entre le cinéma du maître et son quatrième film (un extra-terrestre messianique traqué par des autorités gouvernementales) mais pour mieux s’en détourner (l’enfant, figure référente du cinéma spielbergien, devient chez Nichols l’étranger ouvrant vers l’inconnu) et confère à son road movie une dimension merveilleuse, et mystérieuse, quelque peu inattendue dans le panorama cinématographique d’aujourd’hui.

Si le chef d’oeuvre de Spielberg brillait par son point de vue d’enfant ainsi que l’absence quasi-totale de référent adulte et de figure paternelle, cette dernière se retrouve au centre du film de Nichols, Michael Shannon, acteur fétiche du cinéaste, incarnant ici un père écorché, dont on devine le passif sectaire, mais néanmoins résigné au sacrifice pour que son enfant puisse réaliser sa destinée. Un enfant à priori comme les autres, candide et grand lecteur de comics, et dont on se demande un temps à quoi lui servent les étranges lunettes qu’il porte jusqu’à ce que survienne la première transe, celle-ci révélant alors un pouvoir tout aussi extraordinaire que redoutable. Se passant aisément de mots, les sentiments du père et du fils passent ici essentiellement par des regards échangés et un silence bien plus explicite que n’importe quel dialogue. Si ces deux personnages se retrouvent au centre du récit, Nichols en vient hélas à négliger un peu les rôles secondaires même si il s’appuie sur le talent d’acteurs comme Joel Edgerton, Kirsten Dunst et Adam Driver (sabre rouge ?) pour les incarner.

Bien sûr, on serait évidemment tenté de voir Alton comme un gentil extra-terrestre de plus dans le paysage cinématographique, ou bien même une énième figure christique annonçant une sorte de paradis perdu détourné par le prisme de la science-fiction. Mais plus simplement, Alton n’est probablement rien d’autre qu’une projection des marottes actuelles de Nichols, la source des préoccupations d’un père pétri d’angoisses vis-à-vis de l’avenir de son enfant et des influences négatives qui le cernent (les sectes, les instances gouvernementales, la technologie…). Dans le script, le petit Alton devient l’enjeu de plusieurs intérêts (politiques, religieux, scientifiques) et ne peut finalement compter que sur l’abnégation de ses parents (et des quelques témoins privilégiés de son pouvoir comme Lucas), seuls à même de porter leur fils à bout de bras vers sa destinée. Et si la cellule familiale se réunit ici en court de métrage, c’est pour mieux se préparer à accompagner leur enfant dans la voie qu’il s’est choisi et à le laisser partir seul vers l’inconnu, dès le moment venu.

Il faut dire que loin de vouloir expliciter son récit, Nichols a l’intelligence de laisser bon nombre d’éléments à l’appréciation du spectateur, l’ensemble de son film, particulièrement pauvre en dialogues, tendant en silence vers une résolution inattendue et ouverte à bon nombre d’interprétations. On se trouve ici en plein fantastique intimiste, inquiétant et allégorique, bourré de références et de magie, et qui, au-delà de son aspect faussement SF, illustre avant tout l’amour inconditionnel d’un père pour son fils.

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