L’été de Kikujiro, c’est l’histoire d’un gamin de 10 ans, nommé Masao, se retrouvant seul à s’ennuyer chez sa grand-mère au moment des grandes vacances alors que tous ses camarades partent se dépayser avec leurs familles. L’été de Kikujiro, c’est aussi l’histoire de Kikujiro (sans blague, vous entends-je dire), un ancien yakuza oisif, qui n’a vraiment rien pour lui. Fainéant, impulsif, gaffeur, immature et joueur invétéré, ce dernier va devenir, bien malgré lui, le compagnon improbable du petit le temps d’un été bohème passé à aligner gaffes sur gaffes en sillonnant les routes campagnardes d’un Japon de carte postale. D’abord réticent à l’idée de se coltiner un petit merdeux, l’homme va évidemment peu à peu s’y attacher tout au long d’une errance fauchée mais pas moins débrouillarde, faite de gentilles arnaques et de grosses bêtises.

Avec ce road movie bucolique, sorti en 1998, le trublion Kitano surprit son premier public en rompant radicalement avec les archétypes mafieux (JugatsuSonatine) et policiers (Violent Cop) dont il s’est rapidement fait l’un des plus illustres représentants cinématographiques au pays du soleil levant. Narrativement moins travaillé que ses précédentes oeuvres, L’été de Kikujiro est surtout pour lui l’occasion de revenir à ses premiers amours, la comédie douce-amère teintée de touches burlesques irrésistibles auxquelles viennent s’ajouter une bonne dose de tendresse et de poésie. Histoire de prouver qu’il peut encore attendrir et faire rire, et se dédouaner, le temps d’un film, de la violence inhérente à son cinéma.

On assiste donc tout au long du voyage de Kikujiro et de Masao, à une succession de scénettes tantôt drôles tantôt émouvantes, relevées par les tribulations absurdes d’un adulte capricieux et gouailleur dont les nombreuses pitreries tout aussi stupides et hilarantes puissent-elles être, contrebalancent joyeusement le fond dramatique de l’intrigue. Car si Kitano ponctue son film de nombreux gags résultant de l’immaturité de son personnage (le passage du routier et celui du clou sur la route sont à se rouler par terre), l’histoire s’articule surtout sur la déshérence d’un enfant esseulé dont le seul souhait est de pouvoir retrouver sa mère qui l’a abandonné pour refaire sa vie. A la morosité de ce gamin mutique en perte de repères affectifs, Kitano oppose donc les facéties et la gouaille décomplexée de son propre personnage, lequel offrira finalement au petit Masao un été d’exception, ponctué de rencontres improbables et de réjouissances simples et régressives (les fameux jeux de plage récurrents dans l’oeuvre du cinéaste) auxquels viendront se greffer une poignée de personnages loufoques (le hippie, le duo de motards).

Ainsi dans L’été de Kikujiro, et à l’image des nombreuses figures mafieuses peuplant la filmo de Kitano (JugatsuSonatineAniki mon frère), les adultes sont présentés comme de grands enfants qui tuent le temps comme ils peuvent, ne reculant devant rien pour s’amuser et faire des blagues puériles aux autres sans jamais se soucier du retour de bâton. A l’image des gangsters de Sonatine qui le temps d’un exil redevenaient jeunes et insouciants via la simplicité de jeux de plage régressifs, Kikujiro devient ici un nouveau représentant de ces personnages au coeur dur mais qui révèle, sous l’âpreté apparente d’un ancien gangster à priori insensible, égoïste et antipathique, une véritable âme d’enfant, capricieux et turbulent, toujours prêt à profiter de la moindre occasion pour rigoler et amuser son jeune protégé. On touche d’ailleurs là au coeur du cinéma de Kitano qui, outre la violence inhérente de ses films de yakuzas, n’a jamais eu son pareil pour aérer ses films d’un lyrisme contemplatif, consacrant ses personnages au silence et à l’ennui tout en agrémentant leur parcours d’un humour tantôt burlesque, tantôt doux-amer.

Pour Kitano, le remède à l’oisiveté de ses personnages, douteux ou non, n’est donc rien de moins que le sens de l’humour. En ce qui concerne L’été de Kikujiro, il s’agit surtout pour le cinéaste d’appuyer via un contexte foncièrement dramatique, un certain sentiment de déréliction et la solitude de ses deux protagonistes (voir le passage où Kikujiro rend visite à un parent à l’hospice) tout en renforçant par une bonne dose d’humour leur amitié intra-générationnelle.

Peuplé de personnages insolites et cocasses, égayé par les gaffes d’un homme plus immature que l’enfant dont il a la charge, ce road-movie tout aussi drôle qu’émouvant n’est rien de moins qu’une perle d’humour, de poésie contemplative et d’optimisme. Epaulé par la formidable musique de Joe Hisaishi (dont ce thème inoubliable), Kitano livrait là une véritable leçon de cinéma, une oeuvre se passant totalement d’influences pour révéler le versant le plus tendre de la filmo du grand Beat Takeshi.

Auréolé du grand prix du festival de Cannes 1998, ce film reste à mon sens le chef d’oeuvre de son incomparable auteur. Une ode à l’enfance éternelle et à l’insouciance. Du bonheur à l’état pur, les enfants.

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