Après avoir fait disparaître le clown mutilé dans les tréfonds du sous-sol gothamien au terme du décevant arc Death of the family, et après avoir astucieusement remodelé les origines de la dualité opposant Batman et son ennemi juré dans le très référentiel premier tome de L’An Zéro, le scénariste Scott Snyder (aucun lien de parenté avec Zack) revient à nouveau sur leur éternel antagonisme à l’occasion de l’arc Fini de jouer, dans ce septième volume judicieusement intitulé Mascarade.
L’occasion pour l’auteur d’appuyer son approche foncièrement surréaliste du Batverse tout au long d’une intrigue au demeurant simpliste voyant le Prince du crime revenir en force et contaminer l’essentiel de la population gothamienne par un énième poison de sa composition. Transformés en zombies ricanants, les braves citoyens de Gotham mettent ainsi la ville à feu et à sang, plongeant l’intrigue dans un contexte apocalyptique parfaitement restitué par la patte graphique d’un Greg Capullo dont on retrouve ici clairement les influences horrifiques de sa grande époque passée à magnifier les sinistres Chroniques de Spawn.

Risque de spoiler

Si la trame de ce dernier run n’a en elle-même rien d’exceptionnelle, tout l’intérêt de cette énième bataille réside dans la nouvelle approche appliquée au personnage du Joker. Après L’An Zéro, Snyder ose à nouveau bousculer les certitudes quant aux origines du sinistre clown dont l’aura terrifiante ouvre ici la porte à des perspectives purement surnaturelles et horrifiques.
Personnage proprement diabolique et redouté de tous, ayant toujours une longueur d’avance sur ses adversaires, le Joker conquiert ici une dimension fantastique proprement inédite puisque trouvant (peut-être) ses origines avant même la fondation de la cité gothamienne. Ainsi de la légende de l’Homme Pâle, être malfaisant et séculaire, à la source de tous les maux de la mégapole depuis près de trois siècles et à laquelle répond un antagoniste désormais invulnérable, se plaisant à faire croire à sa prétendue immortalité. Une possibilité à laquelle refuse pourtant de croire Batman, ce dernier se bornant envers et contre tout à ne pas songer à la perspective terrifiante d’un Joker aux origines légendaires. Des origines que viennent d’ailleurs renforcer une intrigue annexe (que l’on doit à un collectif d’auteurs et de dessinateurs comme le génial Sam Kieth) se situant quelques heures avant les hostilités et voyant plusieurs échappées de l’asile kidnapper leur toubib et lui compter à tour de rôle leurs propres versions délirantes de la légende l’Homme Pâle.

Bien sûr, chacun appréciera ou non l’idée d’un Joker au caractère potentiellement surnaturel. Pour ma part, si je préfère de loin voir en ce clown meurtrier le souvenir tragique d’un comique raté rendu fou par la fatalité (ah la bonne blague qui tue), l’originalité de cette nouvelle approche m’a également séduit. Car tout l’intérêt du traitement de Snyder est ici d’entretenir le doute quant à la véritable nature du Joker sans jamais céder à la moindre tentative d’explication. D’autant que cette nouvelle approche a le mérite de resserrer encore plus le conflit opposant Batman à sa némésis, les confrontant in fine dans un duel à mort tout en les liant de manière fort ambiguë dans un même combat face au caractère absurde de l’existence.
Snyder ose d’ailleurs même inverser les rapports de l’un et l’autre face à l’appréhension de la mort. Alors que le Joker nous a longtemps été présenté comme un personnage aux penchants suicidaires, se riant de tout jusqu’à défier la fatalité (comme en témoignent des oeuvres comme The Killing JokeThe Dark Knight Returns, le Joker d’Azzarello, Batman Under the Red HoodThe Dark Knight de Nolan et même le Batman de Burton “Tellement à faire et si peu de temps“…), Fini de jouer en fait en bout de course un personnage prétendant désespérément à la vie éternelle, se trainant dans un dernier instinct de survie vers une source aux propriétés régénératrices, mais entravé dans ses derniers efforts par un justicier résigné au sacrifice.

Cette confrontation à forte propension existentialiste (si, si) se clôt ainsi sur le rapprochement contradictoire des deux ennemis jurés, lesquels se qualifient finalement d’amis malgré les blessures profondes qu’ils se sont mutuellement infligés. Tout cela prend une résonance particulière à travers le discours final d’Alfred lequel explique le dernier geste du héros par la nécessité de se rebeller, par le combat ou par le rire, face à l’absurdité de l’existence. Rire à la face du vide, se révolter face à l’injustice en donnant à ses actes plus de valeur qu’à sa propre vie non sans reconnaître la préciosité de l’existence. Tout cela sans interdire un potentiel deus ex machina, symbolisé ici par l’armure du dieu Apollon (en laquelle on peut voir la possible intervention d’un certain kryptonien) sur lequel s’ouvrent et se referment ces terribles retrouvailles.

A noter qu’outre l’habituelle galerie de couvertures, ce septième tome se clôt sur une intrigue alternative mettant à nouveau en vedette le Joker. Celui-ci s’y amuse à tourmenter durant plusieurs années un journaliste qui a fait l’erreur de proclamer que le criminel n’était qu’un homme condamné à la solitude, sans aucun ami. Un récit aux faux airs du Disjoncté de Ben Stiller et qui démontre à quel point il n’est pas bon d’être l’ami de n’importe quel clown.

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