Ils ont réussi à te faire taire“, lançait Wolverine à son adversaire final, le Deadpool mutique et sacrilège du X-Men Origins Wolverine de 2009. Ou comment la Fox avait stupidement sacrifié l’un des personnages les plus iconoclastes de l’écurie Marvel sur l’autel du comic-book movie tout public et indigent à la gloire du Serval griffu. Suite à cette aberration, nombre de producteurs et de scénaristes tentèrent de faire décoller le projet d’une adaptation entièrement consacrée à un personnage dont la popularité (en particulier outre-atlantique) allait toujours en grandissant. En vain. Parmi les artisans de la résurrection (ou plutôt de la renaissance) du personnage sur grand écran, Ryan Reynolds a longtemps porté le projet à bout de bras, non pas seulement pour éclipser sa vilaine incarnation dans le navet de Gavin Hood mais surtout parce qu’il a toujours su déceler le véritable potentiel d’une transposition fidèle des aventures de ce personnage atypique à l’écran (et parce qu’il se dit être un grand fan bien entendu).

Et lorsqu’enfin le projet d’adaptation fut remis en chantier avec un illustre inconnu à la barre, on n’y croyait plus vraiment. Et pourtant au vu du résultat, il est indéniable que Tim Miller a tout compris au matériau de base. S’appuyant sur un classement R bienvenu, parrainé par Cameron et Fincher (modestes contributeurs aux quelques milliards amassés par la Fox ces vingt dernières années), le “jeune” réalisateur réussit l’exploit de transposer le concept du comic à l’écran, faisant de son super anti-héros le parfait contre-point de ses équivalents plus respectables tout en conférant à son film une liberté de tons des plus fidèle et rafraîchissante. Car si la bd s’est attiré autant d’admirateurs depuis sa création en 98, ce n’est pas tant pour l’auto-dérision et l’humour noir inhérente à la particularité de son “héros” increvable et conscient de son statut fictif, que pour les différentes approches des scénaristes, lesquels auront toujours mis un point d’honneur à souligner l’ambivalence d’un Wade Wilson tout aussi gouailleur et décomplexé que vindicatif et particulièrement sadique.

Si le Deadpool de Reynolds et de Miller se révèle légèrement moins ambigu que sa version papier, il n’en conserve pas moins toute son essence fun, délirante et joyeusement cruelle. En témoigne cette longue séquence d’action ouvrant le film (je passerai sur les sympathiques crédits d’ouverture troquant les noms du staff par des qualificatifs ô combien élogieux) qui voit Deadpool provoquer un carnage monumental sur une voie rapide, massacrant ses ennemis à tour de bras sans se priver de taquiner ses futures victimes par un sens de l’humour noir à toute épreuve. Véritable morceau d’anthologie (un rien éventé par la surpromotion du film), probablement vouée à devenir culte, la séquence a le mérite de rassurer illico les fans les plus hardcores quant à la fidélité du film à l’esprit du comic, d’autant que Wade Wilson a tôt fait de briser le quatrième mur en prélude à ces réjouissantes hostilités.

Conservant l’auto-dérision, la violence burlesque (voir Deadpool s’acharner inutilement sur Colossus et se fendre la gueule à en pleurer…) et les références métas et irrévérencieuses du comic book (les X-men cinématographiques et leurs interprètes, dont un certain Hugh, en prennent ici gentiment pour leur grade), le réalisateur n’en sacrifie pas pour autant la dimension dramatique du personnage, et use de plusieurs allers-retours narratifs pour expliquer les motivations vengeresses de Wade Wilson et bâtir une origin story fidèle et prometteuse, suffisamment solide pour lancer à elle-seule toute une franchise (voire plusieurs si l’on en croit les dernières nouvelles). En plus de lancer définitivement la carrière de Miller, tant celui-ci déploie un talent certain dans la réalisation, usant de procédés surprenants, tout en s’appuyant sur un casting irréprochable (la palme à Ryan Reynolds bien entendu, jamais meilleur que lorsqu’il porte le masque… quoique The Voices) et le score idoine de Junkie XL.

On regrettera seulement le traitement un rien superficiel appliqué aux personnages secondaires. Entièrement consacré à son protagoniste (qui est d’ailleurs de quasiment chaque scène), le film ne prétend à rien d’autre qu’à mettre en valeur chacune de ses interventions jusqu’à limiter la portée de l’intrigue à des enjeux sans réelle envergure. Si la première partie du film se révèle audacieuse tant dans son traitement narratif que dans ses parti-pris stylistiques, le film s’achemine progressivement vers une résolution plus classique, voyant l’affreux super-héros secourir sa dulcinée, à petits renforts de mutants méconnus ou trop longtemps sous-exploités.
Ce qui n’empêche pas pour autant d’apprécier le spectacle jusqu’au bout et d’en savourer pleinement l’excellence furieuse et délirante, et ce jusqu’au laïus final de Colossus dont la réponse de Wilson (même si prévisible) ne manquera pas de faire rire même les plus réticents.

En matière de film concept à l’action ravageuse et à l’humour ravagé, Deadpool s’impose donc comme une indéniable réussite. Un comic book movie atypique et détonant à la gloire d’un super anti-héros qui n’a certainement pas dit son dernier bon mot à l’écran.

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