Depuis 1975, on ne compte plus les ersatz nanardesques des Dents de la mer qui ont fleuri au cinéma et surtout dans les cases dtv. En plus de quarante ans pas un seul de ces successeurs cinématographiques n’a su égaler la mécanique parfaite du chef d’oeuvre de Spielberg. The Reef est un énième film de requin sorti en 2011 et réalisé par Andrew Traucki, co-réalisateur de Black Water, un autre survival aquatique australien mettant en vedette un crocodile affamé. Mais loin de la démarche romanesque et quasi-fantastique de Spielberg qui ne se privait pas de souligner l’agressivité surnaturelle de son squale dans Jaws, Andrew Traucki lui, choisit de privilégier une approche hautement réaliste et s’inspire pour se faire d’un authentique fait divers survenu aux larges des côtes australiennes.

Eté 2010. Devant convoyer un yacht d’Australie en Indonésie, Luke en profite pour inviter son ami Matt et sa fiancée à faire la traversée avec lui et son équipier Warren. La soeur de Matt et ancien amour de de Luke fait également parti du voyage. Une fois parvenu au large, le bateau heurte un récif de coraille et chavire. Réfugiés sur la coque, les cinq protagonistes n’ont que deux solutions : soit déclencher la balise de détresse et attendre les secours en espérant qu’il y en ait, soit tenter leur chance dans l’eau et rejoindre à la nage l’île de la Tortue située à plusieurs kilomètres de là. Warren qui connaît trop bien la zone pour savoir de quoi elle est infestée est le seul à choisir de rester sur la coque, prenant le risque d’être entraîné encore plus au large et de couler. Les quatre autres amis équipés de combinaisons et de planches décident de tenter leur chance à la nage. Quelques minutes plus tard, ils croisent la carcasse d’une tortue décapitée flottant à la surface. Puis c’est l’apparition d’un aileron qui confirme leurs craintes et la vision sous-marine d’un grand requin blanc qui tourne autour de ses proies attendant le moment idéal pour passer à l’attaque.

Ici, la volonté évidente de Traucki est d’ancrer son récit dans le réel et de ne recourir à aucune esbroufe et autres effets tape-à-l’oeil. Pour filmer son squale, il utilise d’ailleurs des images de vrais requins filmés en caméra plongée à partir d’une cage immergée. Grâce à un habile montage, l’effet est payant, et l’on a vraiment l’impression de la proximité du requin avec ses proies.

Le récit adopte surtout le point de vue de Luke, plongeur expérimenté et véritable leader du groupe. Ainsi lorsque ses amis disent avoir aperçu quelque-chose, Luke balaie aussitôt l’horizon du regard en même temps que le spectateur. Parfois il s’immerge et scrute les profondeurs inquiétantes et opaques où l’on se surprend à chercher avec lui du regard le fameux requin tant attendu.

Une telle focalisation s’avère payante et terriblement efficace, quand Luke aperçoit le requin pour la première fois, c’est bel et bien la vulnérabilité du groupe qui nous saute aux yeux, d’autant que les protagonistes n’ont aucun support sur lequel se réfugier. Les quatre amis sans défense n’ont plus qu’à attendre et prier que le prédateur les épargne. Dès lors, le suspense s’articule autour des réactions du squale et dans l’attente du moment fatidique où il passera à l’attaque. Les visions sous-marines de Luke nous dévoilent ainsi le squale s’éloigner jusqu’à disparaître pour très vite réapparaître fonçant vers le groupe la gueule béante. Chacune des attaques du requin est alors d’une brutalité stupéfiante et d’une rare puissance émotionnelle. Aucune complaisance dans l’horreur, pas de hurlements inappropriés, Traucki s’appuie pleinement sur le talent de ses acteurs pour suggérer l’épouvante lorsque les mâchoires se referment sur leurs victimes. En témoigne cette scène mémorable où Luke nage à la rescousse d’un de ses amis dont le regard croise une dernière fois le sien avant qu’il ne soit subitement happé par les profondeurs. On comprend dès lors toute la vulnérabilité de l’individu dans une telle situation et toute l’horreur qui en découle. Car au-delà de la peur de la mort, c’est bel et bien de la peur atavique d’être dévoré vivant sans rien pouvoir y faire dont nous parle Traucki, cette manière de reléguer l’individu à un simple paquet de viande, prêt à être consommé tel quel.

Le suspense s’articule ainsi sur l’attente d’une fatalité inextricable. Face à l’horreur, les protagonistes se retrouvent surtout face aux conséquences de leurs décisions, et le spectateur en vient inévitablement à se demander ce qu’il aurait bien pu faire à leur place : rester sur le yacht retourné ou partir à la nage ? En sachant que chaque décision sera la plus décisive de sa vie.

Tirant les leçons de maître Spielberg, Traucki joue habilement du hors-cadre, suggérant l’horreur plus qu’il ne la montre. Il utilise ainsi très peu d’effets spéciaux et préfère jouer sur l’incertitude pour susciter la peur. Les apparitions du requin sont habilement dosées, mesurées. La suggestion et l’attente participent plus au sentiment de peur que les attaques du squale, ou n’importe quel autre artifice visuel.

Le jeu déterminant des acteurs est extrêmement convaincant tout au long du film, à peine entaché par des dialogues minimalistes et une exposition un rien rapide. Faute d’un budget conséquent, Traucki va droit à l’essentiel mais n’oublie cependant pas de crédibiliser ses protagonistes tant toute l’émotion du film découle de leurs réactions et de leur sacrifice. On notera d’ailleurs la force qui se dégage du couple principal, deux amoureux séparés par la vie et qui se retrouvent durant cette épreuve cauchemardesque.

Véritable surprise du renouveau de film de requins, The Reef s’impose donc comme un remarquable survival aquatique, terriblement efficace et angoissant. Une perle de plus à ajouter au crédit du cinéma de genre australien.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *