A l’origine de ce film, on trouve la bande-dessinée de Chester Gould parue initialement en 1931 et rapidement adaptée au cinéma (dès 1937) dans une tripotée de serials et de longs-métrages plus ou moins mémorables au cours desquels le détective se frottait à une succession de bad guys saugrenus tout en expérimentant moult gadgets kitchissimes.

Très populaire aux Etats-Unis, le héros pulp n’en demeurait pas moins relativement méconnu dans nos contrées durant plusieurs décennies. Tombé progressivement dans l’oubli outre-atlantique, le héros fit son grand retour en 1990 via l’adaptation cinématographique que lui consacra alors l’acteur-réalisateur-producteur Warren Beatty. Une adaptation que l’on imagine aujourd’hui un rien boostée par le carton planétaire du Batman de Tim Burton, sorti quelques mois auparavant.

Loin de l’atmosphère délicieusement sordide des premières adaptations ciné du comic-book, ce Dick Tracy surprend avant tout par sa direction artistique flamboyante et ses couleurs saturées accentuant le surréalisme d’une intrigue par ailleurs minimaliste.

Dick Tracy, un détective dur à cuire, part en croisade contre le grand patron du crime Big Boy Caprice lequel tel un Al Capone grotesque élimine chacun de ses concurrents pour s’assurer le contrôle de tout le crime organisé de la ville. Le gangster tend un piège à Tracy qui se retrouve bientôt accusé à tort d’un crime qu’il n’a pas commis. Aidé du Kid, un petit orphelin fort en gouaille, le détective compte bien prouver son innocence et mettre Big Boy derrière les barreaux.

Une trame simpliste et très manichéenne qui aurait pu être rédhibitoire si Beatty n’assumait pleinement son parti-pris caricatural en accentuant tous les aspects les plus outranciers de son intrigue à l’image. Car au-delà des couleurs criardes et de son esthétique rétro-noire des plus fantasmée, Beatty s’amuse à caractériser ses mafieux en les affublant de faciès grotesques et inquiétants, sensés révéler leurs traits de caractères prédominants. Un parti-pris qui renvoie d’ailleurs aux illustrations de Gould lequel n’hésitait pas à déformer les traits des différents antagonistes de ses intrigues. Al Pacino est donc méconnaissable en Big Boy Caprice, ignoble gnome au visage boursouflé et c’est un plaisir de voir l’acteur se laisser aller à l’exercice du cabotinage excessif, loin de ses rôles de composition habituels. On retrouve également avec plaisir certaines guests stars de renom (Dustin Hoffman, James Caan, Paul Sorvino, Charles Durning) dont les maquillages grotesques ne suffisent pas à masquer leur savoureux numéro d’acteur. Un traitement esthétique que Beatty épargnera heureusement à Madonna laquelle incarne une sublime vamp énigmatique, sorte de Marylin Monroe des bas-fonds (un rôle qui lui permit en outre de remporter l’oscar de la meilleure chanson originale). A cette étonnante galerie de personnages s’ajoute aussi un mystérieux tueur cagoulé dont l’identité ne surprendra personne.

Avec ce Dick Tracy, Beatty réussit donc la transposition du comic à l’écran et se livre finalement à un exercice de style périlleux (puisque jouant constamment par son esthétique du manichéisme de sa trame) mais totalement assumé et réussi. Des qualités formelles qui rattrapent la minceur d’un scénario qu’on aurait souhaité plus original et marquant. Certes, Beatty s’approprie les codes du film noir et les accentue à outrance mais sans jamais vraiment se risquer à les détourner comme l’avait fait Zemeckis avec son Qui veut la peau de Roger Rabbit ? par exemple. En résulte un scénario prévisible de bout en bout qui perd en originalité ce que la réalisation gagne en audace stylistique.

Un bémol qui ne suffit pourtant pas à atténuer la singularité surprenante d’une oeuvre qui gagne largement à être redécouverte.

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