La légende dit que Danny Boyle a longtemps regretté d’avoir refusé de diriger Alien 4, sous prétexte qu’il n’avait pas la garantie d’avoir les coudées franches. Hors ma théorie est que deux de ses films des années 2000 illustrent à merveille cette frustration. Il y a évidemment la somptueuse odyssée spatiale Sunshine, dont tout le dernier acte, ressemble à s’y méprendre à un ersatz de la franchise Alien, et puis il y a 28 Days Later.

Autant dire qu’en 2002, personne n’attendait de ce réalisateur un tel film de genre. C’est dire la claque qu’il nous asséna avec sa relecture hallucinante du mythe du zombie. Car au début du millénaire, les fictions sur les zombies ne volaient pas bien haut et se retrouvaient toutes invariablement reléguées à de vulgaires nanars complaisants et fauchés. De plus, en près de trois décennies, aucun de ces films n’aura su s’affranchir de la vision singulière de George A.Romero et sa mythique Nuit des morts-vivants. Les zombies ont toujours été jusqu’en 2002 des cadavres en décomposition déambulant à deux à l’heure en se dandinant maladroitement. Et puis 28 jours plus tard remit les compteurs à zéro.

Un jeune homme se réveille dans un lit d’hôpital. A ses plaintes, personne ne répond. Très vite il se remet sur pied et déambule dans les couloirs désertés du bâtiment. A l’extérieur, il arpente les rues d’un Londres totalement dépeuplé, frappé par un mystérieux phénomène dont notre héros n’a aucune connaissance (à contrario du spectateur, prologue oblige). Il découvre bientôt une église jonchée de cadavres parmi lesquels se manifestent de rares survivants mutiques aux regards injectés de sang. Visiblement fous furieux, ceux-ci se lancent à l’attaque de notre héros qui se voit contraint de fuir. Commence alors sa course éperdue pour la survie.

Bon bien sûr, on pourra objecter qu’il ne s’agit pas vraiment de zombies dans 28 Days Later, mais plutôt d’individus infectés par un virus les rendant fous furieux et particulièrement voraces. Ce qui explique donc la rapidité fulgurante de leurs attaques et leur endurance à toute épreuve ainsi que la façon qu’ils ont de courser leurs proies. De même, la rapidité de la transmission du virus suffit à transformer en quelques secondes la personne mordue en une bête assoiffée de sang. A peine le temps de quelques adieux avant de devenir aveugle et sourd à tout sentiment.

Mais malgré toutes ces innovations, le traitement reste assez proche de celui des films de Romero, Boyle et son scénariste l’écrivain Alex Garland empruntant à Big George plusieurs de ses idées. Ainsi, 28 jours plus tard reprend à la trilogie des morts plusieurs de ses passages charnières : de la radio émettant un mystérieux message d’espoir au sacrifice cruel d’un des protagonistes en passant bien sûr par ce groupe de militaires dégénérés évoquant ceux du film Le Jour des morts-vivants. Il y a aussi ce passage clignant de l’oeil à la critique anti-consumériste de Zombie où les héros dans un élan de bonne humeur pillent allègrement les rayons d’un supermarché sur l’air du A.M. 180 de Grandaddy. Enfin, nous noterons ce contaminé tenu en captivité par les militaires du dernier acte et leur servant de cobaye comme le Boubou du Jour des morts-vivants.

De nombreux emprunts donc, allusifs et respectueux, qui s’intègrent à merveille dans un scénario alternant à merveille rythme haletant et moments contemplatifs. Car ce qui différencie notamment le film de Boyle du triptyque de Romero c’est que toute l’intrigue élaborée par Alex Garland s’articule autour d’un périple vers une potentielle zone sécurisée, là où chacun des trois films de Romero se concentrent sur la notion d’enfermement dans une seule et même unité de lieu pendant l’essentiel de l’histoire.

28 jours plus tard privilégie donc une fuite éperdue en avant qui va resserrer progressivement les liens entre les protagonistes, les rendre aussi attachants que possible afin que leurs sacrifices soit d’autant plus bouleversants (fichu piaf). Des personnages incarnés avec talent par des acteurs plus ou moins connus. C’est donc à travers ce film que j’ai découvert Cillian Murphy (futur Jonathan Crane), jeune comédien talentueux aux faux-airs d’Ewan McGregor (mais là aussi, est-ce un hasard ?) qui incarne à merveille Jim, ce héros improbable, sorte de fils prodigue se muant subitement en mâle protecteur et vindicatif (une des dernières scènes du film fait habilement l’amalgame entre la sauvagerie de ses actes et celle des contaminés). A ce personnage esseulé vient progressivement se greffer plusieurs autres dont la belle Selena incarnée avec justesse par Naomie Harris, puis la jeune Hannah (Megan Burns) et son père Frank, incarné par Brendan Gleeson. Cet acteur irlandais à l’aura internationale (Le GénéralTailor of PanamaMI:2) campe ici le rôle secondaire de Frank, le modèle paternel, rassurant et protecteur, qui préfigure à merveille l’aboutissement de la trajectoire dramatique de Jim. A cette distribution tout aussi remarquable que modeste vient s’ajouter Noah Huntley (NarniaEvent Horizon) dans un rôle éclair ainsi que Christopher Eccleston, célèbre pour avoir été l’une des incarnations du Doctor Who et qui interprète ici le major Henry West, personnage insidieux et ambivalent.

Impossible de ne pas toucher un mot sur la superbe BO du film, puisant le meilleur de Brian Eno à Grandaddy en passant par le Requiem de Gabriel Fauré. Et que dire du score de John Murphy et de son thème musical minimaliste mais efficace (In the house, in a heartbeat), régulièrement repris dans d’autres oeuvres (Kick Ass). Ce morceau rock est résolument un des plus lancinants du septième art. Deux notes lointaines, semblables à un battement de coeur dont l’écho se répercute dans les tréfonds d’une maison vide. Appuyée par une basse plaintive et mélancolique, l’angoisse s’installe à chaque pulsation; puis le rythme s’accélère et monte crescendo au son de percussions tonitruantes. La mélancolie cède bientôt place à l’urgence au son d’une guitare vociférante dont on torture les cordes pour aboutir à l’inéluctable guérison. La rage s’estompe, le sang s’arrête de couler; tout revient au calme, tout s’apaise, l’homme redevient sociable et généreux… jusqu’à sa prochaine crise.

Ce thème épouse à merveille la mise en scène fluide et nerveuse de Danny Boyle qui filme ici en caméra DV (pour des raisons tout aussi budgétaires que stylistiques) de manière à accentuer l’urgence de l’intrigue et la noirceur du propos. Et pourtant malgré ce concentré de noirceur, Boyle ne cède pas à la tentation du nihilisme absolu et se permet quelques séquences optimistes et contemplatives du plus bel effet (la scène du supermarché et celle des chevaux), censés resserrer au plus fort les liens entre les personnages. Il va même jusqu’à conclure son film sur une note d’espoir totalement inattendue et bouleversante.

Et c’est ainsi que le réalisateur de Trainspotting et de Petits meurtres entre amis initia le renouveau du film de genre et réinventa la figure du zombie à l’aube du second millénaire. Gore, cruel et émouvant, son film eut tôt fait de faire des émules, Zack Snyder s’en inspira notamment pour mettre en scène les zombies véloces et enragés de son remake de Dawn of the dead (L’Armée des morts). Il donna également lieu à une suite tout aussi réussie pour laquelle Boyle, accaparé par le tournage de Sunshine, se contenta d’un poste de producteur exécutif.

A ce jour, 28 Days Later reste un des parangons du genre, un chef d’oeuvre apocalyptique dont le style singulier et percutant eut tôt fait d’influencer toute une génération d’auteurs et d’oeuvres. Comme une étincelle fulgurante à l’origine d’un brasier, qui près de quinze ans plus tard, ne s’est toujours pas éteint.

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