Une nuit à Los Angeles. Lors d’une embuscade tendue par les autorités, plusieurs membres d’un gang se font décimer. Le lendemain, tous les chefs de gangs de la ville pactisent afin de s’unir en un seul et même groupe de centaines d’hommes. Leur but : se venger de l’offensive des autorités en s’en prenant aveuglément à la population civile et en provoquant le chaos. Cette après-midi-là, un père voit sa petite fille abattue sans raison par un truand. Ivre de vengeance, il tue le meurtrier de sa fille mais est aussitôt pris en chasse par les compagnons du tueur.
Au même moment, le lieutenant Bishop se voit chargé de surveiller le temps de quelques heures le commissariat du quartier d’Anderson en voie de désaffection. Il supervise ainsi une équipe réduite constituée plus de civils que de policiers, réunis dans les locaux vétustes. Bientôt, un car convoyant plusieurs prisonniers dont un des plus réputés est contraint de faire halte au commissariat d’Anderson afin de soigner un des passagers malades. Puis c’est un homme haletant et apeuré qui déboule dans le commissariat, le père de la petite fille dont les poursuivants encerclent bientôt la bâtisse, rejoints par des centaines d’autres. Ils coupent rapidement tous moyens de communications et tuent les premiers à tenter de sortir. Barricadés dans le commissariat, policiers, civils et bagnards s’efforcent de mettre leurs inimitiés de côté afin d’organiser leur résistance. Bientôt c’est toute une armée d’agresseurs sans visages qui se lancent à l’assaut du commissariat isolé.

Pour son second long-métrage mais premier en tant que professionnel, le jeune Carpenter a l’idée de transposer dans l’Amérique des 70’s, la trame de l’un de ses films favoris Rio Bravo de Howard Hawks, sans pour autant se vautrer dans une simple modernisation et un copier-coller insipide. Ainsi, là où Rio Bravo exposait clairement les motivations des agresseurs lesquels oeuvraient pour libérer un criminel emprisonné, Carpenter choisit (et prend le risque) dans Assaut de passer celles de son gang de tueurs sous silence. L’intrigue prend ainsi des connotations fantastiques (les premiers pas véritables du cinéaste dans le genre) lorsqu’il révèle une succession de silhouettes immobiles et fantomatiques encerclant l’antique commissariat dans la pénombre d’un quartier à l’abandon, comme une zone urbaine subitement oubliée de toute une métropole. Un contexte improbable certes qu’il arrive néanmoins à crédibiliser au fur et à mesure des événements de son intrigue et qu’il élude finalement pour se concentrer sur sa mécanique de huis-clos imparable. (il ré-emploiera quasiment tel quel ce même procédé dans Prince des ténèbres).

Soucieux d’inoculer à son film une dimension toute aussi anxiogène que mystérieuse, Carpenter va jusqu’à filmer les assaillants comme une masse homogène, dénuée de toute réalité humaine puisque chacun de leurs visages reste dans l’ombre. Ainsi, au lieu de déplacements hystériques, désordonnés et rageurs, de cris et de déroute, c’est à une véritable procession de kamikazes lents et déterminés que nous assistons, les assaillants de Assaut renvoyant finalement aux morts-vivants de Romero dans La Nuit des morts-vivants. Dans les deux films d’ailleurs, c’est un héros noir qui devient le principal référent du spectateur, une idée qui n’était pas si évidente que ça à exploiter en 76 pour Carpenter, encore moins en 68 pour Romero alors que “La nuit des morts-vivants” se voulait une dénonciation du ségrégationnisme en vigueur aux Etats-Unis. Et tout comme dans le film séminal de Romero, la couleur de peau du protagoniste de Assaut attise certaines tensions et inimitiés dans la mesure où c’est bien l’unique personnage valable, apte à assurer la survie du groupe. Un inversement de rapports toujours aussi culotté en plein milieu des années 70 alors que le seul acteur noir ayant pu accéder à une certaine notoriété jusqu’alors était Sidney Poitier. Ainsi, toute la survie du groupe va s’organiser autour du lieutenant Bishop, le réalisateur en faisant son principal référent face à la menace extérieure.

Ce qui est d’autant plus prégnant dans Assaut, c’est ce malaise urbain qui sert de contexte à tout le film, ce chaos instauré par des individus sans visages et dénués de toute conscience, des agresseurs indéterminés aux allures fantomatiques et zombiesques, première connexion de Carpenter à son oeuvre en devenir. Le commissariat, principale unité de lieu ici, se présente dès son exposition comme le vestige d’une époque révolue, une forteresse improbable et vacillante aux remparts fissurés. En son sein, chaque policier, civil, bagnard se retrouve relégué à la même enseigne, prisonniers d’une bâtisse urbaine oubliée. Il faut d’ailleurs remarquer cette manière astucieuse qu’a le cinéaste de refermer progressivement le cadre de son intrigue sur ses protagonistes, passant d’une longue exposition à ciel ouvert jusqu’à emprisonner ses personnages dans un lieu clos et de plus en plus réduit. Toutes les composantes de son cinéma à venir se retrouve déjà dans Assaut : la figure de l’oppression toute-puissante, du confinement en lieu clos, de l’anti-héros marginal et solitaire préfigurant un certain Snake Plissken.

Bien avant The ThingPrince des ténèbres et même The Ward, Carpenter démontrait déjà dans Assaut son sens incroyable du cadre, sa manière de rendre accessible au spectateur la topologie d’un espace confiné usant d’une multiplicité d’angles de prises de vues et de courtes focales. Il pousse d’ailleurs l’hommage jusqu’à signer lui-même le montage du film sous le pseudonyme ironique et référentiel de John T.Chance, le nom du héros incarné par John Wayne dans Rio Bravo.

Au final, Assaut emprunte nombre d’éléments à deux classiques du cinéma aux connections improbables pour construire une formidable allégorie sur l’écroulement des rapports sociaux. Fascinant de bout en bout, le film deviendra à son tour un grand classique remaké de manière plus ou moins officielle par Florent Emilio Siri dans son remarquable Nid de guêpes et Jean-François Richet dans le sympathique Assaut sur le central 13. Culte.

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