L’anticipation au cinéma se démarque notamment de la pure SF par sa tonalité alarmiste, sa critique des dérives modernes et de ce qu’elles peuvent engendrer. La pollution, la surpopulation sont autant de thèmes qui ont fait les beaux jours du genre et qui se retrouvent dans Soleil Vert, authentique joyau du cinéma d’anticipation des années 70.

Dès l’ouverture du film, le ton et le contexte sont donnés. L’industrialisation massive, la pollution et la surpopulation ont emmenés l’humanité au bord du gouffre. En 2022, la Grosse Pomme est devenue une mégapole surpeuplée et déliquescente où règne la misère et la criminalité. Face à l’explosion démographique et à l’épuisement des ressources, la nourriture est venue à manquer et les gens ne se nourrissent plus que d’un aliment synthétique, le Soylent. Dans ce contexte, un des patrons de la compagnie fabriquant cet aliment est bientôt assassiné. Thorn (Charlton Heston), un flic désabusé, est chargé de l’enquête. Avec l’aide d’un vieux documentaliste, il va mettre au jour une vérité effroyable.

Richard Fleischer fut de cette catégorie de réalisateurs capables à la fois du meilleur comme du pire. Ayant toujours su rebondir entre les genres, son style aura évolué au gré de différentes approches et tonalités. Soleil Vert fut sa troisième incursion dans la SF après 20 000 lieues sous les mers et Le Voyage Fantastique. Mais loin de l’environnement consensuel de ces deux derniers films, Fleischer appose à Soleil Vert un traitement nettement plus réaliste et entre de plein pied dans le genre de l’anticipation alarmiste.

A des lieues d’une SF aseptisée et de ses artifices high-techs, la New York qu’il décrit est une mégapole cauchemardesque, sinistre et déliquescente. Une vision qui préfigure sur certains aspects l’île de Manhattan imaginée par Carpenter dans Escape from New York en 1980 (à ceci près que celle-ci y est désertée). La population y est entassée, suffocante, agonisante. Dans cette ambiance de promiscuité et de misère, se détache la figure d’un anti-héros, un flic corrompu comme les autres et abusant sans scrupule de sa position, comme lorsqu’il en profite pour obtenir les faveurs d’une jeune femme incapable de lui tenir tête. Sur une scène de crime, le héros en vient à se servir sans la moindre gêne, ramassant tous les objets qu’il juge utile de dérober. S’il agit ainsi impunément c’est qu’il est issu de la génération soleil, celle qui ne connait du monde d’avant que ce que en raconte avec nostalgie les vieillards et ce qu’il reste de livres d’histoire. Une génération ayant grandi dans la misère, la crasse et la promiscuité et qui s’est épanouie dans la délinquance et la corruption.

Thorn n’a donc rien de positif au préalable, bien que la trajectoire du personnage nous révèle ses failles et son humanité. Il nous devient ainsi bien plus sympathique au contact de Sol Roth, le vieux documentaliste, notamment dans cette scène où il fait goûter au vieillard de la confiture, véritable madeleine surgie d’un passé où les aliments avaient encore un goût.

Dans ce futur où l’humanité s’entasse désespérément, on encourage même l’individu à se supprimer. Les candidats au suicide, qu’ils soient jeunes ou vieux, attendent dans les couloirs d’un centre de mise à mort.

Impossible alors de ne pas parler de la fameuse séquence de l’euthanasie de par le paradoxe émotionnel qu’elle engendre. Aux projections d’images pastorales, témoignages d’un passé révolu, se greffe inéluctablement la pensée tétanisante d’un vieillard que l’on exécute en silence parce que son existence est devenue un fardeau pour la société. L’émotion est prégnante dans cette scène tant pour le thème qu’elle illustre que pour la nostalgie qu’elle convoque. On notera au passage que ce fut là, le dernier rôle d’Edward G. Robinson, malade en phase terminale au moment du tournage.

L’intrigue s’achemine ensuite irrémédiablement vers une conclusion tétanisante où Thorn prend connaissance de l’insoutenable vérité. Ainsi, l’amenuisement des ressources aura conduit l’humanité à un stade impensable et régressif, recyclant les êtres comme autant de produits consommables, ultime remède à une situation globale désespérée où l’humanité en est venue à s’entasser au bord du gouffre.

Au vu de la teneur hautement nihiliste de son propos, il n’est donc pas surprenant d’apprendre que le film fit un four à sa sortie en salles, et qu’il s’imposa finalement comme un film culte au fil des années.

A raison tant Soleil Vert est un des meilleurs représentants d’une anticipation réflexive et alarmiste au cinéma, propre à dénoncer les dérives d’une société future et hypothétique. Grave et subversif, loin de la fantaisie et de la légèreté des précédentes oeuvres du cinéaste, ce film s’impose indéniablement comme un jalon majeur du genre.

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