Scénariste surdoué à l’imagination débordante, Andrew Niccol s’est d’abord fait remarquer pour son scénario de Truman Show, magnifique dénonciation des médias et de la course à l’audimat doublé d’une réflexion très dickienne sur la réalité et le leurre des apparences. Une thématique primordiale que Niccol ré-emploiera d’ailleurs dans son futur S1mone.

Le succès critique et public de The Truman Show n’empêche pas à l’époque Andrew Niccol de garder une certaine amertume vis-à-vis du film de Weir. L’ayant écrit dans l’optique de le réaliser lui-même, il se heurte alors au refus inconditionnel des producteurs du film de lui confier l’objectif. Le jeune scénariste ne se laisse pas abattre pour autant et se consacre alors à un autre de ses scénarios qu’il peut d’ailleurs réaliser alors même que Weir entame de son côté le tournage de The Truman Show.

Pour son premier film, le futur réalisateur de Lord of War s’attache à suivre le parcours de Vincent Freeman (au nom évocateur) dans le monde futur et sélectif de Gattaca. Ayant toujours rêvé de devenir astronaute, Vincent (Ethan Hawke) a été déclaré non valide lorsqu’on lui a diagnostiqué une maladie cardiaque. Dans ce monde où l’eugénisme tient lieu d’échelle sociale, les élus occupent les postes les plus hauts placés tandis que les non valides ou génétiquement impurs se voient cantonnés toute leur vie dans des postes subalternes. C’est le cas de Vincent, qui végète depuis des années dans un emploi de bureau ingrat au Centre de Gattaca. Mais malgré toutes ces années et la rigidité implacable de ce monde froid et déshumanisé où personne ne conteste plus cette discrimination génétique, Vincent n’a jamais renoncé à son rêve et compte bien le mener à bien avec l’appui d’un membre de l’élite, Jérôme Morrow (Jude Law), ancien athlète cloué à vie sur un fauteuil roulant et dont le groupe sanguin est compatible avec le sien. Pour mener à bien son imposture et ainsi atteindre son but, Vincent doit échapper aux fréquents contrôles sanguins du Centre et surtout supporter le difficile entraînement prévu pour les futurs astronautes, risquant tout autant sa vie du fait de sa malformation cardiaque que d’être percé à jour. D’autant que bientôt un meurtre est commis dans les locaux de Gattaca et que l’inspecteur en charge de l’affaire semble connaître le nom de Vincent Freeman.

Moins axé sur la description de cette société future et déshumanisée dont le décorum aseptisé renvoie à certains classique des années 60 et 70, Gattaca dresse avant tout le portrait de son protagoniste, le bien-nommé Vincent Freeman, dont la détermination à braver l’interdit pour accomplir son rêve n’a d’égale que son refus obstiné de tout déterminisme génétique imposé par le système.

Ambitieux et révolté par l’injustice de ce meilleur des mondes, le personnage semble prêt à tout pour atteindre son objectif. D’où la suspicion du spectateur à son égard lorsque le directeur de mission est retrouvé assassiné. Cette volonté farouche d’accomplissement individuel ancrée dans un contexte global qui favorise la pureté de la race fait en outre remarquablement écho à notre société moderne, axée sur l’individualisme, la réussite, le rendement et le culte de la perfection physique.

En contre-point de l’ambitieux Vincent, se trouve son plus fidèle allié. Ancien athlète, autrefois promis à un grand avenir, le déchu Jérôme devient un personnage éminemment tragique, moins condamné par son handicap que par les exigences de perfection d’une société sélective et exclusive.

Au-delà de ces deux portraits croisés, dont l’opposition laisse progressivement place à une sincère amitié, bientôt bouleversée par la belle Irène (Uma Thurman), Andrew Niccol alimente continuellement son scénario des préoccupations alarmistes de grands classiques littéraires tels 1984Le Meilleur des mondesLa nuit des tempsUn bonheur insoutenable ou encore Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques (dans lequel la colonisation des planètes n’est réservée qu’aux gens jugés sains et génétiquement productifs).

A l’aune de toutes ces influences et de ces thématiques passionnantes, on pourrait alors croire à tort que Niccol se contente de réciter ses leçons de façon stérile. Outre des séquences signatures (l’océan comme symbole des limites de la volonté) et des choix photographiques thématiquement chargés, chaque référence ne fait ici qu’étayer le propos résolument plus moderne du réalisateur. A ce titre, le film se pare d’une fascinante réflexion sur la notion d’identité. L’imposture génétique et sociale de Vincent n’est possible que par la complicité de celui dont il usurpe l’identité. Elle implique finalement le renoncement de ce dernier, Jérôme préférant en bout de course s’effacer pour permettre à Vincent d’exister et de vivre son rêve. Une forme de sacrifice dont il n’est pas interdit d’en retrouver l’écho dans le remarquable Moon de Duncan Jones, sorti près de quinze ans plus tard.

Outre ses aspects narratifs et thématiques, le film brille aussi par la qualité de sa réalisation et bien sûr de son interprétation. Malgré des moyens restreints, Andrew Niccol livre un métrage formellement irréprochable aux effets spéciaux discrets et dont les formidables séquences de suspense (la scène de l’escalier en colimaçon, celle du test dans le Centre) n’ont d’égale que l’émotion d’un dernier acte absolument bouleversant.

D’une modernité toujours aussi étourdissante, ce premier film modeste et ambitieux s’impose désormais comme un classique absolu de l’anticipation. Une oeuvre inoubliable, un très grand moment de cinéma.

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