Après avoir réalisé son chef d’oeuvre Akira et un film live intitulé World appartment horror; Katsuhiro Otomo revint à l’animation en 1991 avec Roujin Z. Doté d’un budget modeste, le film n’est pourtant pas réalisé par Otomo qui n’occupa ici que les postes de scénariste et de designer, déléguant la réalisation à un dénommé Hiroyuki Kitakubo. Artiste méconnu, celui-ci oeuvra pourtant comme animateur sur divers films d’animation dont le fameux Akira avant de passer à la réalisation sous l’égide d’Otomo pour un segment du film à sketchs Robot Carnival puis Roujin Z. Kikatubo réalisera par ailleurs bien plus tard le somptueux moyen-métrage d’animation Blood The last vampire sous l’égide de Mamoru Oshii cette fois.

Dans Roujin Z, le gouvernement japonais développe un programme expérimental capable de prendre en charge à l’avenir les personnes âgées. Ceux-ci seront ainsi placés à l’intérieur d’une unité de soin qui à l’aide de câbles reliés au sujet lui apportera tous les soins nécessaires et subviendra à tous ses besoins. Parallèlement, une jeune étudiante et aide à domicile découvre que le vieillard dont elle s’occupe est précisément devenu contre son gré le sujet des tests expérimentaux de cette machine. Devant la détresse du vieil homme invalide, elle décide de se porter à son secours, épaulée par ses amis. Alors que la jeune femme se confronte aux autorités, la machine contenant le vieillard s’emballe subitement et se transforme rapidement en un mécha invincible détruisant tout sur son passage.

Otomo dresse avec Roujin Z, une satire sociale des plus pertinentes. Face à l’augmentation du troisième âge, la société décide ni plus ni moins d’en déléguer la charge à des intelligences artificielles dénuée d’empathie. Les personnes âgées deviennent ainsi un enjeu social et politique majeur en cela qu’elles sont devenues trop encombrantes. L’homme moderne voit peut-être aussi en la vieillesse sa propre finitude, au point qu’il préfère soustraire à sa vue les aspects les moins respectables du troisième âge. Ainsi confronté à sa propre vulnérabilité, la population adopte-t-elle une attitude de déni pure et simple, allant jusqu’à bazarder ses vieillards dans des hospices (phénomène d’actualité) ou des prototypes robotiques dans Roujin Z. La dignité humaine en prend ici méchamment un coup d’autant que dans son film Otomo prend le contre-pied de l’image classique du vieillard propre et sage, en nous présentant cette fois un vieillard sénile et incontinent.
Mais loin de se vautrer dans un manichéisme outrancier, Otomo montre également un groupe d’anciens venant au secours de l’héroïne. Véritables geeks avant l’heure, ces vieillards gouailleurs et turbulents maîtrisent l’outil informatique comme personne, ce qui sera bien sûr d’une aide précieuse quand il s’agira de contrer le gouvernement.

Outre son propos audacieux, ce qui fait aussi la force du film, c’est la patte stylistique d’Otomo. Ce dernier a beau se cacher en déléguant la réalisation à un de ses protégés, on reconnaît indéniablement la patine visuelle du réalisateur d’Akira à travers cette course-poursuite délirante multipliant les visions surréalistes. Mais qu’on ne s’y trompe pas, doté d’un budget très inférieur au chef d’oeuvre d’Otomo, Roujin Z n’en atteint jamais le degré d’excellence visuelle. Ce qui n’empêche pas au film de Kikatubo et d’Otomo de briller tant au niveau du scénario que de l’animation. Loin de la vision iconique et romantique du mecha guerrier dirigé par de jeunes adolescents, Roujin Z ose nous présenter un mécha dirigé par un vieux grabataire. Autant dire que, malgré l’actualité de son sous-texte, on rit beaucoup au cours du film devant la procession délirante et cataclysmique d’une machine prise en chasse par toutes les armées du pays. Une course-poursuite effrénée accumulant les séquences réjouissantes de destruction pure que vient contrebalancer le timbre féminin de la voix synthétique du mécha. Enfin, l’humour le dispute parfois à l’émotion dans l’évocation de la jeunesse et de l’amour perdu du vieillard.

Roujin Z est donc un de ces films d’animation à (re)découvrir d’urgence. Tout aussi grave et pertinent dans son propos que léger et réjouissant dans la forme. Un régal de bout en bout.

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