Après avoir passé plusieurs années à travailler sur des projets d’envergure qui lui ont finalement échappé (Hellboy 3The HobbitThe Mountains of Madness), Guillermo Del Toro s’est finalement rabattu en 2011 sur un sujet original développé avec l’aide du scénariste Travis Beacham. Pacific Rim a ainsi été conçu comme un hommage évident aux films de monstres qui l’émerveillaient lorsqu’il était enfant, en particulier ceux de Ray Harryhausen et de Inoshiro Honda à qui il dédie d’ailleurs ce dernier film.

Dès les premières minutes de son film, le réalisateur du Labyrinthe de Pan nous plonge dans une situation pré-apocalyptique où les plus grandes villes du globe sont régulièrement attaquées et ravagées par des monstres géants surgit des fonds marins du Pacifique. Face à ces vagues de plus en plus nombreuses de Kaijus, les nations du monde entier conçoivent conjointement d’immenses titans d’acier, les Jaegers, capables d’en découdre équitablement avec ces envahisseurs.

Ce contexte nous étant habilement résumé via un documenteur en guise de prologue, le premier affrontement succède très vite. Un pugilat nocturne en milieu marin, que l’on aurait aisément pu imaginer héroïque, mais qui ne fait au final que révéler toute la fragilité des Jaegers, ainsi que la vulnérabilité des humains qui les dirigent sous cet amas de tôle froissée. Une manière surprenante et astucieuse pour Del Toro de prendre le contre-pied des attentes de tous les fans du genre tout en s’en servant comme d’un catalyseur à la trajectoire dramatique de son protagoniste. Il faut ainsi voir la scène qui succède à cette séquence, dans laquelle le gigantesque Gipsy Danger s’échoue sur le rivage sous le nez d’un homme et de son fils (par ailleurs joli clin d’oeil à la mort de Talos dans Jason et les argonautes).

Dès lors, Del Toro choisit de limiter consciencieusement les apparitions de ses monstres et de ses Jaegers vedettes pour mieux les magnifier par la suite. Excepté quelques élans d’action époustouflants (la bataille de Sydney, la dérive de Mako), tout le premier acte se concentre avant tout sur la présentation et l’interaction entre ses principaux personnages. En collant au plus près à leur point de vue, il nous épargne les assommants passages obligés tels ces décisions de politiques ou ces réunions de crise de l’état-major, barbantes et le plus souvent superflues (ex : Independence Day). Ici, la hiérarchie est uniquement représentée par le personnage de Idris Elba qui résume dès le début la situation : “Nous ne sommes plus l’armée, nous sommes la résistance“. Une réplique qui en dit suffisamment long pour balayer à elle-seule toute considération géo-politique complexe. Et une manière efficace d’évacuer toute complication narrative pour se consacrer uniquement à l’urgence de la situation, symbolisée par ce compte-à-rebours perpétuel surmontant le QG des protagonistes.

Il est dès lors dommage que le développement des personnages ne soit pas toujours à la hauteur, ceux-ci se résumant souvent à de simples stéréotypes, voire de vulgaires figurants. En résulte un manque évident d’émotions qui aurait pu sérieusement handicaper le film si Del Toro ne contournait pas ce défaut par des fulgurances stylistiques surprenantes. Preuve en est, la séquence de la dérive de Mako qui nous révèle son traumatisme originel. Del Toro y filme une petite fille apeurée errant dans une artère dévastée de Tokyo, se déplaçant parmi les épaves avant d’être prise en chasse par un monstre titanesque qui semble un temps ne voir qu’elle. On retrouve ici cette représentation des peurs enfantines chère à l’auteur, lequel y avait auparavant consacré deux long-métrages d’exception (L’Echine du diableLe Labyrinthe de Pan). Dans cette scène, il se contente de filmer les événements du seul point de vue de l’enfant, prenant dès lors le contre-pied des attentes en reléguant un combat de titans hors-champ. A l’image de cette séquence, tout le premier acte ne sert ainsi finalement qu’à une chose : entretenir l’aura anxiogène de ses monstres vedettes, un peu comme l’avait fait en son temps Spielberg pour ses dinosaures.

Connu pour alimenter constamment son cinéma de diverses influences, Del Toro ne se vautre pas dans l’exercice de la simple citation mais met astucieusement à profit ses multiples références pour créer son univers pré-apocalyptique. Il emprunte ainsi tout autant à Honda et Harryhausen (et ce dès les premières séquences) qu’à Cameron, Spielberg, Oshii et Lovecraft pour ne citer qu’eux. Conservant les phases d’exploration et les élans guerriers des films de Cameron tout en instaurant une imagerie lovecraftienne puissante (voir l’apparition d’une des premières créatures au milieu des flots, qui évoque ouvertement le réveil de Cthulhu), Del Toro n’oublie également jamais de suivre les leçons du cinéma fantastique de Spielberg en conférant à son scénario une dimension humaine insoupçonnée. Ainsi tout comme le réalisateur de La Guerre des mondes avant lui, Del Toro parvient toujours à ramener ses enjeux à hauteur d’homme et ce malgré les dimensions phénoménales de ses antagonistes vedettes.

En résulte des séquences de combat fignolés avec un sens du détail quasi-maniaque, Del Toro se servant toujours d’éléments divers (un hélicoptère, un pendule de Newton) pour souligner en comparaison les dimensions écrasantes de ses titans. Une preuve comme une autre du perfectionnisme du réalisateur, lequel n’a ici rien à envier à la maîtrise technique absolue de certains de ses prédécesseurs.

Mais au-delà de toutes ces qualités formelles, Pacific Rim reste totalement représentatif des obsessions thématiques de son auteur. Le film tout aussi spectaculaire puisse-t-il être, s’intègre parfaitement dans la filmographie du réalisateur de Blade 2Hellboy et L’Echine du diable. Depuis Cronos, son premier film, il est en effet devenu facile de reconnaître une oeuvre signée Del Toro. Que ce soit dans cette identité esthétique, reconnaissable notamment par la surabondance de couleurs ocres et chaudes. Mais surtout à travers ces thématiques récurrentes que l’on retrouve dans chaque film du cinéaste : il y a bien sûr les peurs enfantines que j’ai déjà évoqué ici (via la dérive de Mako), les figures monstrueuses et souvent tragiques, la notion de sacrifice paternel, l’obsession de la fuite du temps vers une fatalité irrévocable (ici symbolisé par le compte-à-rebours de l’apocalypse) et la thématique du choix moral. Cinq thèmes essentiels dans l’oeuvre de Del Toro et que l’on retrouve donc à nouveau, de manière parfois moins évidente, dans ce Pacific Rim.

Certes, on pourra se borner à ne voir en ce film qu’un simple produit de studio, spectaculaire par essence mais totalement dénué de tout propos sous-jacent. A tort bien sûr, tant les Jaegers ne sont ici finalement montrés que comme la carapace imposante et fragile d’une humanité désemparée qui n’a d’autre choix que de s’unir pour faire face à la fin du monde. Une apocalypse cinégénique, comme rarement le cinéma nous en a offert depuis ses débuts, et qui impose définitivement Del Toro dans la cour des géants.

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