Classique absolu du 7ème art dont l’impact influenca des décennies durant tout un pan du cinéma de science-fiction (et pas que), 2001 : l’Odyssée de l’espace est de ces rares films dont la finalité laisse libre court à bon nombre d’interprétations. Reprenant à son compte la nouvelle La Sentinelle de Arthur C.Clarke, Kubrick y abordait une pluralité de thèmes tels l’origine des espèces, l’intelligence artificielle et l’inextinguible soif de découverte de l’humanité tout en laissant au bout du compte l’entière signification de son film dans l’esprit intrigué des spectateurs d’alors et d’aujourd’hui.

Passionné par l’histoire qu’il développa finalement à la demande de Kubrick (écrivant le roman éponyme sur la base de sa nouvelle), Arthur C.Clarke donna ensuite à 2001 trois suites littéraires, dans lesquelles il explora plus en profondeur le questionnement laissé volontairement en suspens par Kubrick dans son film. Et il faudra attendre 1984 pour que la MGM mette en chantier un impensable projet de suite cinématographique au film culte de 1968, directement tiré du roman 2010 : Odyssée deux de Clarke. A charge pour Peter Hyams de succéder à celui qui est alors considéré comme le plus grand réalisateur contemporain.

Si Hyams a été choisi par le studio, c’est surtout grâce à la réussite artistique de ses deux précédents films de science-fiction, Capricorn One (vrai-faux film de SF) et Outland. Plutôt téméraire, le réalisateur, qui vient de mettre la touche finale à son thriller policier La Nuit des juges, doit se douter que le projet à tout d’un traquenard qui pourrait lui coûter non seulement sa réputation mais aussi sa carrière. Dès lors, pas question pour lui de coller à l’approche allégorique de Kubrick, son objectif étant plutôt de livrer une suite si éloignée de l’original que toute comparaison serait alors déplacée. D’où l’idée (hélas mauvaise à long terme) qu’a le réalisateur et scénariste d’ajouter à l’intrigue imaginée par Clarke un nouveau contexte géopolitique.

Cette seconde odyssée cinématographique se déroule ainsi sur fond d’une crise internationale à laquelle fait écho la menace imminente d’une guerre ouverte entre les Etats-Unis et l’URSS. Alors que le roman de Clarke décrivait une paisible expérience spatiale entre Russes et Américains, Hyams préfère entretenir une certaine tension soviéto-américaine parmi l’équipage du Leonov, et ce alors même que le vaisseau s’approche du gigantesque monolithe noir stationné aux environs de Jupiter. Là, les scientifiques, dont le directeur de la mission précédente (Roy Scheider) et le créateur de HAL 9000 (Bob Balaban), doivent non seulement étudier le monolithe mais aussi investir le vaisseau Discovery One, vide de tout occupant depuis que Dave Bowman (Keir Dullea) a mystérieusement disparu neuf ans plus tôt. Le but de leur investigation dans le vaisseau fantôme avant que celui-ci ne s’écrase sur Io est de déterminer la cause du dysfonctionnement de l’ordinateur de bord que Bowman aura réussi à désactiver avant sa disparition. Mais alors que l’inventeur de HAL arrive à réactiver l’ordinateur, des phénomènes étranges se manifestent tant à l’intérieur du vaisseau qu’à la surface de Jupiter ou même sur Terre.

Explorant sous un nouvel angle l’univers du film original, 2010 : l’Année du premier contact peut s’appréhender comme une tentative d’apporter aux spectateurs les plus curieux quelques réponses quant aux nombreux mystères entourant l’intrigue du chef d’oeuvre de Kubrick. La réinitialisation de HAL et ses nombreuses conversations en révèlent ainsi plus sur les raisons qui l’ont poussé à saborder la précédente mission de 2001.

Ayant été exposé à un dilemme qui lui était alors impossible de résoudre du fait de sa programmation, l’ordinateur aura simplement pris l’initiative de sacrifier l’équipage du Discovery. Si Kubrick laissait sciemment planer le doute quant au probable instinct de survie d’un ordinateur ayant de toute évidence pris conscience de son existence, Hyams lui emboîte remarquablement le pas, entretenant le suspense jusque dans cet ultime dialogue entre HAL et son créateur. Une confrontation au terme de laquelle l’ordinateur se résigne paisiblement à l’idée du sacrifice dès lors que son concepteur lui témoigne assez de respect pour ne rien lui cacher de ses intentions.

Quant à Dave Bowman, son fantôme nous apparaît plusieurs fois durant l’intrigue, hantant parfois sous différentes formes les coursives du Discovery One ou allant jusqu’à apparaître sur l’écran de télévision de sa veuve restée sur Terre. Entité immatérielle et indéfinissable par essence, Bowman arrivait au terme du roman original de Clarke à transcender les limites de sa propre existence, accédant de la sorte à un statut de surhomme pour qui rien n’était plus impossible (Dr Manhattan ?). Si Kubrick laissait sciemment le spectateur dans l’expectative devant la mort et la renaissance de Bowman, Hyams fait ici du personnage l’émissaire d’une civilisation inconnue dont les projets à plus ou moins long terme dépassent l’entendement humain.

De même que dans le film de Kubrick et les romans de Clarke, l’exploration de l’espace répond ici à la quête de vérité entamée par une humanité au bord du gouffre et dont seul les créateurs pourraient la sauver. Il est juste un peu dommage à mon sens que Hyams ait choisi d’accentuer à ce point le contexte de Guerre froide. Car là où le chef d’oeuvre visionnaire de Kubrick touchait à l’intemporel par sa splendeur formelle et son propos universel, 2010 parait parfois un peu suranné à côté du film auquel il fait suite.

Mais cette contextualisation dépassée n’empêche pas pour autant d’admirer le remarquable travail de Hyams lequel contrôlait ici à peu près tous les aspects du projet, de l’écriture à la réalisation en passant par la photographie (Hyams s’est toujours occupé de la photo de ses films, désormais retraité, il le fait pour les films de son fiston) et la supervision des décors et des costumes. Si sa mise en scène n’a pas l’élégance de celle de son prédécesseur, elle n’en reste pas moins remarquable, d’autant que Hyams accentue parfaitement le contraste entre les coursives confinées des vaisseaux et l’immensité de l’espace, notamment grâce à des effets spéciaux toujours aussi convaincants aujourd’hui.

Si cette suite, pourtant très attendue à l’époque, ne rencontra pas un très grand succès public à sa sortie, elle n’en reste pas moins une excellente oeuvre de hard science et le parfait exemple du savoir-faire d’un réalisateur injustement oublié aujourd’hui. Arthur C.Clarke lui-même n’a jamais tarit d’éloge quant à la qualité du film de Hyams, de même que Kubrick félicita paraît-il son successeur pour son excellent travail. Et si Peter Hyams se perdit ensuite dans les limbes d’Hollywood la putain, enchaînant les films de commande sans grande conviction, sa trilogie de l’espace (Capricorn OneOutland2010) prouve toujours aujourd’hui l’importance qu’il aura eu sur la science-fiction à l’écran.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *